Premier fait. Nous avons dans le golfe1 de' Moi’ges trois palafittes
appartenant à trois degrés de la civilisation; ne nous occupons que
des deux derniers : la station des Roseaux de l’âge de la pierre avec
première importation du bronze ; la grande cité de Morges du bel
âge du bronze. Entre ces deux stations pas de mélange. Spécialisation
parfaite des pièces archéologiques, il n’y a pas eu contemporanéité
entre elles (x).
Or les dix-neuf hachettes de bronze et les deux lancettes qué nous
avons pêchées dans le palafitte des Roseaux gisaient sur le sol, non
recouvertes de sable et revêtues du tuf d’incrustation caractéristique
des objets qui sont demeurés longtemps sur le fond sans être enterrés
sous le limon d’alluviùn. Le peu de profondeur de l’eau sur cette téne-
vière facilitait singulièrement les trouvailles, et je suis certain que personne
n’est venu y fouiller avant nous, car on les aurait ramassées
sans peine. Comment les habitants de la grande cité de Morges dont
le palafitte n’était qu’à trois ou quatre cents mètres des ruines de la
bourgade des Roseaux ne se sont-ils pas appliqués eux-mêmes à cette
pêche peu difficile? Comment ces hommes de l’âge de bronze-, pour;
lesquels le métal devait avoir une fort grande valeur, ont-ils laissé cette
bonne fortune à leurs successeurs, les archéologues de nos jours, qui
ont été tout heureux de cette aubaine? Je me l’explique en supposant
que le palafitte des Roseaux, détruit par l’incendie, avait été assez
complètement ruiné pour que les restes des huttes, des planchers,
des pilotages ne fussent plus apparents ,à la surface des eaux, pour
que leur •existence même ait échappé aux habitants-de. la nouvelle
.Morges. -
Cette disparition (2) totale suppose nécessairement une fort longue
série d’années et même de siècleq^si/nous attribuons une grande durée
à l’espace qui sépare deux stations successives, cela nous entraîne
a fortiori, à prolonger beaucoup l’ère entière des Palafitteurs.
Deuxième, fait. 11 est une observation qui a frappé tous les explorateurs
des palafittes: les pilotis des ténevières de l’âge de la pierre sont
beaucoup plus usés que ceux des stations de l’âge du bronze. Tandis
(l) Voir ci-dessus page 427.
(*) Cette disparition a pu être favorisée par ^envahissement'du palafitte par
le champ de Roseaux qui en est voisin et qui certainement, — les rhizomes enfouis,
dans le sol le prouvent, — mais à une époque à nous inconnue, a été beaucoup,
plus étendu qu’il ne l’est aujourd’hui.
que les pilotis des palafittes du bronze font saillie sur le sol, sur une-
hauteur de bien des décimètres, les pilotis de l’âge de la pierre sont,
en général coupés âu niveau du pavé, comme s’ils avaient été sciés-
transversalement. E. D e so r/q u i le premier a décrit cette particularité
0 estimait que la coupure avait été faite intentionnellement pat
l’homme qui à l’aide d’un instrument tranchant, d’un silex aurait fait-
une entaille circulaire, tandis que le coeur de l’arbre aurait été brisé,
cassé. C’est une erreur; cette coupure horizontale est due simplement
à l’usure, effet des sables et galets qui ont été promenés par les vagues
et qui ont corrodé toutes les parties saillantes pourries par l’eau et attaquées
par les animaux et plantes établis sur le bois (2). Toujours est-il.
qu’il y"a une différence considérable dans l’usure des pilotis des deux
âgés ; ceux de l’âge du bronze sont beaucoup moins attaqués, usés,
corrodés que ceux de l’âge de la pierre ; conclusion : différence d âge-
énorme.
Troisième fait. Pour étudier la taille des bois, nous avons an aché-
plusieurs pilotis de la grande cité de Morges, bel-âge du bronze, et
sur une trentaine, peut-être, d’extractions, jamais nous n ayons vu le»
pieu se brisèr sous les secousses violentes que lui imprimait notre
manuel opératoire. Quand j’ai voulu répéter cette extraction sui les
pilotis de la station de l’Eglise, de l’âge de la pierre, j ai toujoüis
échoué; une vingtaine de tentatives m’ont toujours fait casser le pilotis
au ras du sol: Très étonné de cette différence j’ai répété l’opération
jusqu’à la démonstration de la constance du fait : les pilotis de la
station de l’Eglise sont beaucoup plus fragiles, plus friahles que ceux de
la grande cité de Morges. Comme on ne peut faire intervenir, pour
expliquer cette différence de conservation des bois, ni la nature du
sol, ni la nature dés eaux, les deux stations étant à 150m à peine de
distance, ni la nature du bois, c’était toujours du chêne, j en suis réduit
à l’attribuer à une différence d’âge. Je dois conclure à une beaucoup
plus grande ancienneté de' l’âge de la pierre que de lâg e du
bronze, à une distance dans .le temps très considérable entre les deux
périodes, et par conséquent à une très grande durée de ces âges anté-
historiques.
Cette observation, importante par la déduction que j’en tire, est:
. (*) E. Desor. [loc. cit. 4431 p. 12.
(2) Indicateur d’hist. et d’arch. suisses, III, 905 et 943, Zurich 1875.