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çois F o r e l , de Morges, aux leçons duquel je dois d’avoir été introduit
dans'ces études. Le souvenir des belles heures que nous avons
passées dans la recherche, la découverte et la contemplation de ces-
monuments primitifs de l’humanité est encore assez vivant pour que
je me croie excusé de revenir, après quarante ou cinquante ans, sur
l’histoire des palafittes. Je serai bref, car elle a été déjà souventes fois
et explicitement décrite.
Les Allemands ont pu, grâce au génie constructif de leur langue,
former du premier coup les excellents termes de Pfahlbau et de Pfahl-
bauer, pilotage et bâtisseurs de pilotages. En français, la création dû-
néologisme est plus difficile, et nous avons pendant longtemps divagué
autour du terme peu précis de lacustre. Antiquités lacustres était passable;
emplacement lacustre, établissement lacustre (Trç>y on), étaient
mauvais ; station lacustre, cité lacustre, étaient meilleurs. Lacustre,
tout court, qui a survécu, est un terme indéterminé, car il signifie tout ce
qui touche au lac; il s’accole aux substantifs: faune, flore, géologie,
hydraulique, thermique, optique, météorologie, etc., etc. ; tant qu’il ne-
s’agissait que d’archéologie le mot avait un sens • suffisamment précis ;
depuis que les études limnologiques se sont étendues à l’ensemble des
faits du lac, le mot lacustre est trop vague.
D e s o r nous a sortis d’affaire-en important de l’italienpalafitla, la
traduction littérale du nom allemand Pfahlbau. Palafitte est excellent
et mérite d’être gardé. Je me permets d’en tirer moi-môme le substantif
adjectif Palafitteur, terme de forme zoologique que j’applique au
peuple qui habitait les palafittes. Ainsi que nous le verrons plus loin,
nous ne savons rien ni de la langue, ni de la race, ni de la lignée de
ces constructeurs de pilotages, Nous ne pouvons leur donner un
nom de peuple qui se rattache à l’arbre généalogique des grandes familles
historiques de l’humanité; nous en sommes réduits à-leur offrir
un nom d’espèce paléontologique. Je propose Palafitteur, et j ’utiliserai
ce nom dans les pages suivantes.
Les villages des Palafitteurs étaient fort nombreux sur les rives du
Léman ; nous allons en citer près d’une quarantaine ; mais ils n’ont
pas été tous contemporains, et tout nous montre que la période pafittes
du lac de JBienne, le Dr Victor G ro s s , de la Neuyeville, dont la riche
collection fait le centre de la division des palafittés au musée national de Zurich;
le professeur Louis F a v r e , d e Neuchâtel, le collaborateur de D e s o r , pour la
publication du Bel âge du Bronze, et encore le prof. Dr Théophile S tuder, à Berne,,
le continuateur -etT’émule de Ri i t imeyer pour l'étude de la faune suisse.
PALAFITTEURS 421
léontologique de l’homme lacustre a eu une fort longue durée. Elle a
traversé les deux âges archéologiques de la pierre néolitique et du
bronze et est arrivée jusqu’à l’aurore de l’âge de fer.
Nous aurons donc à distinguer les palafittes de l’âge de la pierre et
ceux de l’âge de bronze. Mais les progrès de l’industrie et l’importation
par le commerce d’objets nouveaux mélangés aux types anciens
permettent d’établir dans ces âges des étages plus nombreux.
Nous devons d’abord distinguer dans l’âge de la pierre néolitique
dêux étages — pour employer le terme géologique — caractérisés
par des perfectionnements progressifs dans la taille des pierres. Le
premier étage est encore très archaïque, presque paléolitique, soit par
les/matières employées, soit par les procédés de fabrication; beaucoup
de silex éclatés, peu de pierres vertes (*■) martelées ; poteries très grossières.
Le second offrè une taille beaucoup plus avancée des pierres
vertes, qui étaient non seulement martelées à la boucharde et aiguisées
sur la meule dormante, mais encore sciées sur le côté et perforées
d’un trou formant douille (2); les pierresnéphritoïdes s’y trouventplus
nombreuses que dans les paJafittes plus antiques ; les- poteries y sont
plus nombreuses et mieux façonnées. Je citerai comme représentant
l’âge archaïque de l’époque, de la pierre les palafittes de Chavannes
{Sehàffis) près la Neuveville, de- Lattrigen, de Môrigen au lac de
Bienne, de Burgæschi près Herzogenbuchsee, de Moosseedorfsee, etc,;
comme représentants du bel âge de la pierre Concisé, Chevroux,
Robenhausen (3).
:||| Par ce mot pierres vertes (pietre verde, grünsteine, greenstones) je désigne
toutes les pierres vertes, grises'' ou noires, des - serpentines, des stéatites, des
diabases, des • diorites, des néphritoïdes aussi qui se prêtent à la taille par le
martelage et qui, polies et aiguisées, étaient employées pour les instruments
tranchants de l’époque néolitique.
(2) Le sciage de la pierre se faisait au moyen d’une planchette de bois tendre,
de sable et d’eau; la planche était promenée sur la pierre par un mouvement de
va et vient indéfiniment répété. Le forage de la pierre était obtenu au moyen
d’une branche de bois de sureau, vert, transformée en couronne de trépan par le
sable qui s’incrustait dans les pores du bois; la tige du sureau était pressée contre
la pierre par la main appuyant par l’intermédiaire d’un coussinet en bois sur un
axe en bois dur; le mouvement de rotation était donné par un archet dont la
corde faisait un tour sur le cylindre de sureau. (Bull. S. V. S. N., XI, 423. Lausanne
1872. Matériaux pour l’hist. de l’homme, VI, 521. Toulouse 1875.)
(3) Les fouilles des lacs sub-jurassiens ont été plus complètes èt mieux divisées,
que les nôtres, par le fait de l’abaissement artificiel de la nappe des eaux, qui a
permis des travaux à pied sec. Je préfère donc donner mes citations d’après des
stations où l’étage archéologique est bien indiqué, alors même qu’elles sont cherchées
dans des lacs autres que notre Léman.