
 
        
         
		formée de  graviers  alpins ;  elle  est post-glaciaire,  c’est  incontestable.  
 Or le Renne  est  l’animal  caractéristique  des  gisements paléolithiques  
 de  la Suisse ;  cela précise leur âge géologique. 
 Les terrasses  diluviennes du Léman  sont  post-glaciairés,  dis-je.  Le  
 glacier n occupait plus le sol ;  il  n’est pas  revenu  sur les  lieux  depuis,  
 car il n’y  a pas de  moraine déposée  au-dessus de  ces  terrasses d’allu-  
 vion. Mais le glacier n’était pas  très  éloigné. En  voici  une preuve intéressante  
 :  au milieu  de la  terrasse moyenne du Boiron (terrasse de 10m)  
 dans les  couches supérieures,  j ’ai  trouvé  en 1895  un  bloc  erratique-,  
 gneiss micacé alpin,  d’un  demi-mètre  cube,  qui n’a pas  pu  être transporté  
 par le torrent  constructeur du  delta  alluvial  du-  Boiron,  bloc qui  
 n’a pas  été déposé en  cette place par le glacier,  car la terrasse est postérieure  
 au  retrait de  celui-ci,  bloc  qui-  ne  peut, semble-t-il,  avoir  été  
 apporté là que par  une glace  flottante,  un  ice-berg. Donc le glacier du  
 Rhône baignait encore  son  front  dans  le  Léman  quand  cette terrasse  
 moyenne  a  été déposée,  en  enchâssant  dans  ses  graviers le bloc qui  
 nous  occupe ;  a fortiori  la  terrasse  supérieure,  antérieure  dans son  
 dépôt  à  la  terrasse  moyenne,  était  contemporaine des  glaciers  diluviens  
 (*). 
 Entre  cette époque paléolithique  des chasseurs de Rennes de Veyrier  
 et  les plus  anciens  palaftttes  néolithiques,  on  constate  ce  que  j ’ai  appelé, 
   il y  a longtemps  de  cela,  une  lacune historique,  archéologique et  
 géologique(2),  lacune qui  est plus tard devenue  célèbre-dans  la discussion  
 scientifique  sous le nom de hiatus. Lacune signifie une interruption  
 dans  une série,  dans un  texte, dans un livre, qui reprend  ensuite après  
 le blanc  constaté.'Ainsi dans le  manuscrit  d’un auteur,  un  cahier  est  
 perdu ;  il y  a  une lacune  dans  le  texte ;  l’ouvragé continue  comme  si  
 les pages qui  ont été  écrites  avaient été  conservées.  Ainsi, dans l’histoire  
 préhistorique de notre pays,  il y  a  une lacune manifeste. 
 Avant-la  lacune,  faune diluvienne  caractérisée  entre  autres par le   
 Renne et le Mammouth ;  après,  faune  actuelle caractérisée par le Cerf  
 et le Chevreuil'. 
 Avant la lacune, flore glaciaire,  flore  alpine  des  moraines  et  de-la 
 (!)  Séance  de  la S.  V.  S. N. 1» mai 1895.  Bulletin  XXXI,  p.  XXXV  Lausanne-  
 1895. 
 (2)  F.-A.  Forel.  Essai de  chronologie  archéologique.  Bulletin  S. V.  S. N.,  X, 5591  
 Lausanne 1870. 
 boue glaciaire :  qu’on  se  rappelle entre  autres les Mousses  de  Schus-  
 senried (f);  après, les puissantes forêts  dans lesquellés les Palafitteura  
 coupaient  les  arbres de leurs pilotages. 
 Avant la lacune,  le niveau  du  Léman  à  la  cote 405 ou  410m ;  aprè s,  
 il  est  revenu  à la hauteur  actuelle 373m. 
 Tous  ces  changements nous indiquent une  transformation  complète-  
 dans  les -conditions  physiques  et  dans  le  climat,  et  supposent  une  
 durée  considérable  à la  lacune pendant laquelle une modification  aussi  
 absolue s’est  faite.  Mais  tout  cela  n’aurait  qu’un  intérêt  géologique ;  
 l’intérêt  devient  historique  quand  nous  étudions  l’homme  avant  et.  
 après  la lacune. 
 Avant la lacune,  l’homme  paléolithique,  chasseur de  Rennes,  habitant  
 les  cavernes, éclateur  de  silex,  travailleur  d’os,  admirable  artiste  
 qui  savait  dessiner ses  chefs-d’oeuvre sur les pierres,  les  os  et  les bois  
 de Renne ;  le  sculpteur  et le graveur qui ne  craignait pas de s’attaquer  
 à la figure des  animaux,  dès  plantes  et même  de  l’homme  lui-même,  
 et qui de son burin de silex  avait  appris  à  en  tracer  des profils  reconnaissables  
 ;  l’homme  enfin  qui  ignorait  l’art  du  potier.  3   Après  la  
 lacune,  le Palafitteur,  constructeur  de  pilotages  sur  les  eaux,  armé  
 d’une hache de pierre verte taillée à  la boucharde par  le martelage  et  
 aiguisée  sur la meule dormante (2),  avait  appris  l’art  du potier.  Il  était 
 HÜ  f.-A.  Forel. Note  sur la découverte  de  Schussenried.  Bulletin S.  V.  S.  N., IX,.  
 318. Lausanne 1867. 
 (2)  La distinction  entre l’homme néolithique  et le palêolilhique est habituellement  
 formulée  par  les  termes  d’hommes  de  la  pierre  brute  et  d’homme  de  la  pierre  
 polie ; le  premier  ne  sachant  tailler  la  pierre  dure  qu’en  en  faisant  sauter  des,  
 éclats,  le  second  ayant  appris, à  l’aiguiser.  J’ai  cru  pendant  un  temps  faire  une  
 distinction  plus  juste  en  notant  que  le  premier,  le  Paléolithique,  ne  savait  employer  
 pour  façonner  les  instruments  tranchants  que  le-  silex,  à  cassure  con-  
 choïde  qui  se  taille  par  détachement  d’éclats ;  tandis  que  le  second,  le  Néolithique, 
   avait  inventé J’usage  des  pierres  vertes  qui  se  laissent  marteler  et  tailler  
 par  la  réduction  en  poussière  sous  la  répétition  indéfiniment  renouvelée  de- petits  
 coups  portés  par  un  marteau  de  feldspath  massif.  La  pierre  ainsi  martelée  
 sous  forme  d’une  hache,  recevait  un  tranchant  aiguisé  par  l’usure  de  frottement  
 sur  une  meule  dormante.  Mais  je  suis  revenu  de  cette  opinion  en  constatant  
 que  le  silex  peut  être  parfaitement  martelé.  Des  Silex  de  Spiennes,*' sur-  
 lesquels  j ’ai  fait  ces  essais,  se  réduisent  en  poussière sous  les  coups  d’un  marteau  
 de  saussurite  presque  aussi  facilement  qu’une  pierre  verte  quelconque-  
 Donc la  distinction  entre  pierre  éclatée  et  pierre  martelée  est juste ;  et  pour  ne  
 pas  introduire  un nouveau terme dans  ufte  science déjà trop  surchargée, j’en resterai  
 à  l’ancienne_ appellation  de  pierre  brute  et  de  pierre  polie. 
 Je  viens  d’empïoyer  le  mot  de  pierres  vertes  pour  désigner  les  roches  que-  
 l’homme  néolithique avait appris  à tailler par  martelage.  Je  rappelle la définition  
 que  j’en  ai  donnée  page  421.