Ces espèces ne trouvent plus le milieu qui leur convient ; elles déclinent,
décroissent, disparaissent. Les derniers individus d’une espèce expirante
sont récoltés par un naturaliste qui les enregistre en les qualifiant
d’espèces rares. Ce ne sont pas des espèces envahissantes, bien
au contraire, ce sont des espèces expirantes.
Nous n’avons guère rencontré dans nos sociétés biologiques du
Léman de formes que nous puissions faire rentrer dans notre catégorie
d’espèces expirantes. Je ne saurais indiquer que YHaemonia
equiseti que je trouvais en abondance devant Morges vers 1875 et que
depuis lors, je n’ai pas su retrouver sur les Potamots et Myriophylles
de la même localité. C’était autrefois une espèce, établie dans ce golfe
de Morges; elle a disparu depuis lors. Ou encore cette algue Cyano-
phycée que S c h n e t z l e r a appelée Protoctoccvs roseo-persiçinus, et
que nous ne savons comment dénommer, parce que nous ne pouvons
la soumettre à des algologues compétents, vu sa disparition actuelle du
fond du lac dans le golfe de Morges, où nous la trouvions en abondance
en 1870-1880(l).
. Il va sans dire que l’extinction d’une espèce dans une localité n’implique
pas nécessairement la mort du type dans toute son aire d’habitat;
elle peut disparaître d’une région où les conditions de milieu ne lui
sont plus propices, et continuer à prospérer ailleurs où les faits extérieurs
lui sont plus favorables.-
b. Les espèces n a i s s a n t e s . Par l’un quelconque des procédés de
l’évolution, l’espèce établie dans une localité, que son immigration soit
ancienne ou récente, se modifie; une nouvelle forme apparaît; c’est
une espèce naissante. Les individus du nouveau type sont d’abord en
petit nombre et localisés sur une aire restreinte. Un naturaliste qui les
trouvera les considérera comme représentant une espèce rare. Ils ne
se multiplieront et n’étendront leur aire d’habitat que si l’espèce nouvelle
est viable. Je citerai, comme exemple, les Cygnes- faux-albinos
dont j ’ai raconté l’histoire, p. 308 de ce volume.
En fait d’espèces rares, nous avons donc à considérer les espèces
immigrantes, les espèces expirantes, les espèces naissantes. Possédons-
nous des critères absolus qui nous permettent de distinguer ces trois
groupes dans lés sociétés biologiques du la c1.’
0) Voir ci-dessus, p. 141.
Nous pouvons, je crois, établir une séparation suffisante entie les
■deux premières catégories, espèces immigrantes et espèces expirantes,
en nous basant sur les règles suivantes :
Toute espèce provenant des milieux aquatiques des territoires voisins
(eaux palustres, eaux fluviátiles), rencontrée accidentellement dans
le domaine lacustre, est une espèce erratique, en tentative, active ou
passive, d’immigration, d’établissement dans le lac.
Toute espèce lacustre, non représentée dans les eaux du territoire
voisin, qui est assez rare pour que, par sa pauvreté en individus, on
puisse, être tenté de la comprendre ‘dans la liste des 'espèces drrati-
«ques, est probablement une espèce en voie d’extinction.
J’ai soigneusement inscrit dans la seconde de ces règles'le mot probable.
L’absence de l’espèce e n question dans les territoires voisins ne
-donne pas une certitude absolue à cette caractéristique d’espèce expirante;
car il y a toujours la possibilité d’une immigration par transport
d’un lac éloigné, entre autres par les Oiseaux migrateurs, par
l’Homme, etc.
Mais j’estime que nous pouvons tirer de ces considérations une formule
générale applicable aux espèces rares de toute société biologique,
aquatique, terrestre ou aérienne:
Les unes sont des espèces erratiques, immigrées, en tentative d’établissement
; elles se reconnaissent au fait qu’elles sont abondamment
représentées dans les régions en relation avec le teriitoiie considéré.
Les autres sont des espèces expirantes : elles ne sont pas représentées
dans les régions voisines, et n’existent plus qu’en petit nombre
dans quelques localités restreintes du territoire considéré. Avant de
conclure définitivement à la qualité d’espèce expirante, il faut, comme
• nous l’avons dit, éliminer par une étude soigneuse des circonstances
la possibilité d’une importation venant de territoires éloignés. Cette
"dernière formule n’est donc pas de rigueur, absolue, et sa valeur dépend
surtout de l’extension relative de l’aire d’habitat de l’organiéme
■que l’on étudie.
Quant aux espèces naissantes, ce n’est que par une critique attentive
de l’histoire du genre, et des faits de géographie biologique qu’on
pourra arriver à des affirmations sur l’authenticité de cette apparition
intéressante, de la création d’une espèce nouvelle.