Dans le littoral, végétation abondante pendant tonte l’année des gazons
des Charas, pendant la saison chaude des forêts et taillis des f a v a s,
s (les phanérogames lacustres), et des velours des algues. Dans la région
pi olonde le monde végétal est réduit aux quelques algues bien chétives
qui constituent notre feutre organique. 11 y a différence du tout au
tout; l’opposition est sensible et apparaît à la première observation; la
séparation est donc bonne au point de vue pratique.
Est-elle également valable au point de vue théorique? — Je le crois.
D un côté dans la région littorale nous avons une société biologique
complètej composée d animaux et de plantes vivant ensemble dans.
leurs relations normales et naturelles; d’un autre côté, dans la région
profonde notre société biologique est réduite à un groupe d’animaux
sans qu’il y ait de plantes, de végétaux autres que les algues du
feutre organique, dont l’importance est si minime qu’on peut les ve-
garder comme négligeables.
Les conditions de ce rudiment de société biologique de la région
profonde sont assez étranges, et on peut les dire très rarement représentées
sur notre globe. Sont-elles même suffisantes ? La coexistence
de la vie animale, et de la vie végétale est considérée à juste titre
comme nécessaire; là où la vie végétale manque, la vie animale est en
souffrance, si môme elle n’est pas impossible.
En effet, sans parler des commodités d’habitat qui sont offertes aux
animaux par la présence des plantes, lesquelles fournissent à beau- -
coup d’entre eux une station convenable, des cachettes contre leurs ennemis,
ou des points d’appui pour résister aux mouvements du milieu
ambiant, il est connu que l’animal ne peut se tirer d’affaire tout seul,
au point de vue de son alimentation. 11 ne sait pas produire de la substance
organique en combinant ensemble les matériaux minéraux; il a
besoin de la fonction chlorophyllienne des plantes qui réduit le carbone
de l’acide carbonique et, à l’état naissant, lé combine avec.l’hydrogène
pour donner les Hydrocarbures etdes protéiques des tissus organiques.
D une autre part, 1 animal, par sa, respiration, consomme l’oxygène et
mourrait asphyxié dans un espace: elos, si la plante ne lui fournissait du-
gaz vivifiant produit par la réduction de l’acide carbonique.
Donc flore et faune sont intimement liées; elles sont toujours associées.
On pourrait rêver peut-être d’une flore sans faune, mais il
semble impossible qu’il y ait faune sans flore.
Or dans la région profonde des lacs et de 1 océan, il y a faune, il n y
a pas flore; l’impossible est donc réalisé. Comment cela? En l’absence
d ’une flore habitant les régions profondes, il y est suppléé d’une manière
indirecte. La flore qui produit de la matière organique pour l’alimentation
de la faune profonde ne se trouve pas en contact avec
celle-ci; elle est logée dans la région pélagique : les plantes, les algues,
qui végètent à la surface du lac créent des substances organiques aux
dépens de l’acide carbonique et des sels ammoniacaux; les cadavi es
dé ces algues et les cadavres des a n i m a u x pélagiques qui les mangent,
tombent au fond du lac, et fournissent une provision sans cesse renouvelée
de nourriture pour les ânimaux de la faune profonde.
Quant au déficit d’oxygène provenant de la consommation de ce gaz
pour la respiration des animaux de la faune profonde, il y est suppléé
par le renouvellement d’eau qui résulte des courants de convection
hydrostatiques, mécaniques ou thermiques. L’eau ne séjdurne pas
infiniment dans les régions profondes du lac ; par les actions diverses
que nous venons de' nommer, il y a transport fréquent des eaux bien
oxygénées de la surface dans la profondeur du lac.
Ainsi donc, tandis que dans la région littorale la société biologique est
complète, que faune et flore littorales vivent conjointement ensemble
dans leurs relations normales et légitimes, dans la région profonde la
faune est seule représentée; c’est d’une manière indirecte, par des transports
à distance, qu’il est fourni, aux animaux vivant dans les grandes
profondeurs du lac, l’oxygène dont ils ont besoin pour leur respiration,
les matériaux organiques qu’ils consomment pour leur alimentation.
Donc, les conditions générales dans lesquelles vivent lès deux faunes
littorale et profonde sont fort différentes, et alors même que les espèces
animales passent sans transition, ou avec dès transitions tellement ménagées
qu’elles sont insensibles, d’une région à l’autre, au point de Vue
biologique général il y a séparation bien nette entre les deux régions.
Nous délimitons la région profonde par le bord extérieur de la zone
occupée par les plantes de la région littorale, et nous caractérisons
comme suit les deux régions biologiques :
R é g io n l i t t o r a l e . Coexistence d’une faune et d’une flore.
R é g io n p ro fo n d e . Faune sans flore; ile st suppléé à l ’absencedes
végétaux par le transport à distance de l’oxygène et de la matière
alimentaire nécessaires aux animaux.