pas dans le lac de Genève il y a quelques siècles et y a été apportée
du lac de Neuchâtel. »
(1746) Lé o n a rd Baula ere. Un anonyme écrivait de Genève en
1746(1) : «On lit dans l’Etat de la Suisse(*) que depuis environ cinquante
ou soixante ans, il s’est jeté dans le lac de Genèvë, par quelque
accident, une sorte de poisson connu dans le pays sous le nom de
Moutella et qui s’appelle Lotte en français. Cette espèce est vorace et
fait de grands dégâts dans le lac. » Cinquante ou soixante ans en arrière
de 1746, cela nous reporte à 1685 ou 1695, pour l’époque de l’introduction
supposée de la Lotte.
( i l 14) A b r a h am R u c h a t qui écrivait sous le pseudonyme de-
K y p s e l e r , nous raconte dans les Dé l i c e s de l a Su i s s e (3) : «Il
y a trente ans (vers 1684) qu’on voit dans le Léman un poisson vorace,
nommé Moleile(4), dans la langue du païs, qu’on n ’y avait jamais vu auparavant.
On ne sait d’où il est venu. Quelques-uns croyent qu’il y est
descendu du lac d’Yverdun ou de Nèuchâtel, où l’on en voit beaucoup,
de cette espèce, par quelques canaux souterrains ou par le moyen du Canal
qu’on a creusé entre le lac d’Yverdon et celui de Genève (6), et qui
communiquant immédiatement au premier de ces lacs, communique
à l’autre par le moyen de la rivière la Venoge.. D'autres disent que cela
vient d’un étang, bâti par nn gentilhomme du pais près de la Vendge,
où il y a quantité de ce poisson-là, et que l’étang ayant été gâté par
une inondation qui suivit de longues pluyes,-le poisson qui s’y trou va
s’en alla dans la Yenoge et de là dans le lac. Quoiqu’il en soit, il y fait
(1) Remarques sur le lac Léman, et Journal helvétique, Ann. 1746 p 124 Neuchâtel
1746. Cet anonyme était Lé ona r d B a u l a e r e , bibliothécaire de la République
de Genève. Voir ses OEuvres historiques et littéraires publiées par Edouard
M a 11 e t. I, p. 41, Genève 1857.
(*) Je n’ai pas retrouvé cette citation dans l’Etat de la Suisse de A. Stanian
Amsterdam, 1714. C’est -certainement au texte des Délices de la Suisse (voir plus
bas) que Baulaere faisait allusion. *
Les D^ices de la Suisse par le Sr Got t l i eb Kyps e l e r de Müns t er. Leide
1714, p. 50. Ce paragraphe est reproduit intégralement dans l'Etat et les Délices de
la Suisse, édition de Wettstein à Amsterdam, IV, p. 308, 1730. Dans l ’édition de
Bâle, E. ïhurneisen, 1764, il n’y a plus que cette phrase : « Le lac de Genève est
abondant en bons Poissons, Truites et Perches, et d’autres espèces de Poissons-
moins communs comme la Lotte et la Ferrât. . IV, 276. Cette phrase a même été-
supprimée dans l’édition de Fauche à Neuchâtel, 1778.
(4) Il s’agit évidemment ici de la Lotte.
(6) Le canal d’Entreroches.
beaucoup de mal, mangeant les autres poissons, comme le brochet. »
Le témoignage de Ru c h a t qui avait fait ses études à Lausanne, et qui
depuis 1706 était pasteur à Aubonne, qui était donc presque un riverain
du lac, est précieux et important.
(1685) Un voyageur anglais, B u r n e t , est l’auteur le plus ancien
auquel nous puissions nous référer au sujet de cette tradition(*). « Le
lac de Lausanne donne beaucoup d’excellents poissons, mais dont le
nombre diminue sensiblement, jusque-là qu’une espèce toute entière y
a disparu. Ce qu’on attribue non seulement à la voracité du Brochet,
mais à une autre sorte de poisson qu’on appelle Moutail, qui ne s’y
voit que depuis six ans, et qui selon toutes les appareiices y est tombé
par des canaux souterrains du lac de Neuchâtel et de quelques autres-
lacs de la Suisse, où il s’est vu de tout temps. » Le théologien anglais
est ici l’écho des récits qu’il a récoltés pendant son voyage; il n’est
qu’un témoin auriculaire. Mais son témoignage est précieux parce
qu’il est presque contemporain. B u r n e t passait à Genève et Lausanne
en 1685; six ans auparavant nous font remonter à 1679; cette
date et les détails donnés se rapportent assez bien à la mise en activité
du Canal d’Entreroches qui a commencé à fonctionner vers
1640 et 1650 et qui, comme nous l’avons vu plus haut, pp. 78 et 276,
a pu servir de passage à la Lotte du lac de Neuchâtel pour son entrée
dans le Léman.
Nous avons dans Bu r n e t e t R u c h a t une date très précise, la fin
du XVIIe siècle. C’est pour nous l’indication d’une importation accidentelle
de la Lotte dans le Léman. Ce fait semble confirmé par quelques
arguments qui plaident pour l’absence de cette espèce de Poisson dans
notre lac avant ce XVIIe siècle. Ce sont :
(1581) La carte du Syndic J e a n d u Villard, de Genève. Cette-
précieuse carte manuscrite, appartenant à la Bibliothèque de Genève,
date de 1581; dans une feuille accolée elle donne la figure avec une
rapide caractéristique des Poissons-vivant, dans le Léman (3). Vu son
grand intérêt, nous avons demandé et obtenu de la Direction de la Bibliothèque
l’autorisation de reproduire en photogravure cette page que-
-(?) Gilbert Burnet, Dr théol. Voyage de Suisse, etc, fait dans les années 1685 et.
1686. Rotterdam 1690, p. 17.
(?) Voir Louis Dufour. Carte du lac Léman par le Syndic Jean du Villard. Mérn..
Soc. Hist. et Archéol. de Genève, XIX, 1877.