certain qu’aujourd’hui il n’y a rien de plus rare que les Anguilles dans
ce lac. »
1811. Dans son Dictionnaire du Canton de Vaud, Lo u i s Leva de
nous raconte un fait positif; c’est le seul que nous ayons à citer dans
toute l’histoire ancienne de cette question : « L’Anguille est rare dans
notre lac ; j’en ai vu une, de grandeur considérable, qui avait été pê-
chée en 1811, et que des enfants traînaient dans les rues de Vevey.
On ep prend plus souvent du côté de Genève » (*).
1814. Le doyen B r i d e l cite l’Anguille comme «autrefois assez
commune, maintenant très rare, se trouve du côté de Villeneuve » (*).,
1815. Ju r in e , qui rédigeait son mémoire vers 1815, disait(3) : « On
trouve rarement l’Anguille dans le lac de Genève, à cause de la perte
du Rhône, qu’il ne peut franchir que lorsque les eaux recouvrent ce
gouffre. » Il donne à la planche I de son atlas unë excellente figuré
de l’Anguille, qui paraît dessinée d’après nature. Dans la préface des
éditeurs de son mémoire posthume, il est dit que J ur ine avait fait
faire sous ses yeux des dessins soignés de chaque espèce, et aussi
que «les dessins avaient été faits sur le vivant». D’après cela, sans que
cela résulte formellement des textes, on peut cependant admettre que
J u r in e 'a probablement vu quelque. Anguille provenant du Léman.
En 1829, le doyen Br ide l disait relativement à l’Anguille: « Les
plus vieux pêcheurs de La Vaux, de Vevey, de Villeneuve affirment
n’en avoir jamais vu » (4).
1843. R. B1 a n che f dit que l’Anguille n’existe pas dans le Léman,
malgré des essais nombreux d’importation. « Quelques auteurs ont
cité l’Anguille parmi les poissons de notre lac, mais c’est par erreur;
plusieurs fois, il est vrai, l’on a cherché en vain à l’introduire » (5).
En résumé, je constate que jusqu’à la moitié du XIXe siècle, l’Anguille
était rare ou très rare dans le Léman; que nous n’en avons
qu’une seule observation précise,celle du Dr Loui s L eva de ënl8 1 1 ;
une moins précise, celle de R a z ô u m o w s k y ; que nous avonscepenfl)
Dictionnaire du Canton de Vaud. Lausanne 1824, p. 179.
(2) loc. cit. [p. 55], p. 34.
P) loc. cit. [pi 55], p. 147.
(4) loc. cit. [p. 327], p. 48..
(5) loc. cit. [p. 55], p. 316.
dant assez d’énoncés vagues ou généraux, celui de B r id e l, par exemple,
celui de J u r ine , etc., pour que nous puissions admettre que, de
temps en temps, on en péchait quelque individu.
Nous avons vu, quand nous avons traité de la Lotte G), combien peu
probable était l’empoissonnement artificiel d’un grand lac comme le
Léman. Si je voulais absolument avoir; recours à 1 intervention de
l’homme, je chercherais plus volontiers l’introduction volontaire de
quelquôs Anguilles dans un étang dont l’émissaire se serait déversé
dans une rivière affluentedu Léman, comme nous allons le voir pour
les Anguilles de l’étang de Fernex. Mais il me paraît plus simple de
nous adresser à une migration naturelle, par une des voies assez compliquées
et ehcombrées d’obstacles qui relient les bassins fluviátiles
voisins aveccelui du Léman.
Je chercherais la voie de l’immigration des Anguilles dans le Léman,
peut-être avec Ju r in e , L u n e l et F at i o , par la Perte du Rhône: lorsque
les très hautes eaux remplissent-assez le gouffre dé la Perte pour
qu’un Poisson migrateur, capable de ramper sur terre ferme à une
courte distance, puisse franchir l’obstacle en suivant les bords du
fleuve (2), il y aurait, semble-t-il possibilité au passage de quelques-uns
de ces Poissons entreprenants. Mais je vois plutôt une voie ouverte à
cette immigration par le canal de Pompaples qui depuis lès temps reculés
du moyen âge relie le Nozon, affluent de la Thièle du lac de Neu-
châtel, à la Venoge, affluent du Léman, ou encore par le canal d’En-
treroches, qui depuis l’an 1640 au commencement du XIXe siècle a
relié 'ces deux bassins d’eaux à travers le Mormont(3.). C’est ce qui me
paraît le plus probable et ce qui me semble le mieux correspondre avec
la rareté des trouvailles de l’Anguille dans le Léman.
C’est aussi l’opinion du Dr H a a k, directeur de la pêcherie d Hunin-
gue. en Alsace, le savant pisciculteur qui connaît le mieux par la pratique
le transport de l’alevin d’Anguilles. 11 estime que ces transports
à distance sont chose fort délicate et difficile à mener à bien, même
dans notre temps de voyages rapides; il croit que les. anciennes apparitions
d’Anguilles dans le Léman sont des cas isolés dé migrations
(*) Voir ci-dessus p. 337.
(2) On sait que l’Anguille arrive à remonter la chute du Khin à Schaffhouse.
(ô) Voir ci-dessus, p. 10, 275 et 276.