derrière des palissades. D’après .ce que nous voyons dans-la cité de
Morges, il savait fortifier le front de sa bourgade par une rangée de pilotis
serrés qui le protégeait aussi bien contre le choc des vagues que
contre les attaqués de l’ennemi.
Ce serait donc simplement dans des intérêts de défense contre les
attaques de tribus hostiles que nos anciens lacustres établissaient leurs
demeures sur les eaux. Si les arguments négatifs qui nous amènent à'
cette conclusion ne nous égarent pas, le type des constructions en pa-
lafittes devrait rentrer dans l’histoire de l’architecture militaire.
C’est au même résultat qu’arrive l’étude de toutes les constructions
analogues que l’on retrouve en fort grand nombre chez les peuples anciens
et modernes de presque toute la terre, chez les Péoniens du lac
Prasias que nous a décrits H é ro d o te ,c h e z les anciens Irlandais qui édifiaient
leurs Crannoges, chez les sauvages de la Polynésie, des îles,
de la Sonde, chez les nègres des lacs africains, etc. (‘)
Ajoutons à cette notion de sécurité contre toute attaque de quelque
nature que ce soit l’attrait incontestable que pouvaient offrir de telles
constructions. Ce devaient être des demeures délicieuses pour des
hommes à goûts lacustres que ees cabanes de bois bâties au dessus^
des eaux. Avoir le lac devant soi, autour de soi, au dessous de soi, en
être entouré, en être possédé ; n’avoir qu’un saut à faire pour prendre
un bain ou pour descendre en canot, n’avoir qu’à jeter un filet pour' y*
ramasser une pêche abondante ; être réchauffé en hiver par la tiède
atmosphère du lac, en été. être rafraîchi par ses brises réconfortantes
jouir de la propreté parfaite que permettait le rejet dans l’eau de tous
les débris de la vie domestique ; jouir aussi de la variété prodigieuse
que devaient donner à l’existence les modifications incessantes du lac,,
tantôt calme, tantôt soulevé par la tempête, tantôt baigné de lumière,,
tantôt attristé par les teintes grises du brouillard. Nous, les riverains
du lac, nous savons quel charme puissant, toujours renouvelé, toujours
rajeuni, nous procure le spectacle de ces eaux, dont le tableau
varie d’une saison à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre ;■
nous en sommes saisis, nous en sommes passionnés, nous y sommes
(l) Tel n’est pourtant pas l’avis des-D" Sarasin rte Bitle. Ils né voient pas-
dans les palafittes des'citadelles défendables: pour eux l’histoire actuelle des
palafiites de Célèbès est décisive. Sitôt qu’un village est menacé par l’ennemi,
les habitants quittent le palafitte et transportent leur demeure sur la cime d’unè col-,
line, ou s il y en a dans le voisinage, d’une montagne, en l’entourant d’une enceinte
fortifiée. fLettre du 2 nov. -1896;)- -
profondément attachés. Que d ev ait-c e être pour ceux qui avaient su.
établir leur vie non pas près du lac, non pas au bord du lac, mais sur,,
mais dans le lac même !
Sécurité au point de vue militaire, charme incontestable de la station
lacustre, teis-sont les avantages évidents qui expliquent le choix de ce
style architectural. Ils faisaient passer sur les quelques inconvénients
que devait offrir ce genre de villages.>
Et d’abord le travail considérable que nécessitait un tel type de
constructions; la grande cité de Morges reposait sur des milliers et
des millièrs de pilotis ; quelle énorme oeuvre de charpente. Cependant
si nous comptons que quatre, six ou huit pilotis suffisaient amplement
pour soutenir une petite cabane qui s’appuyait sur les -cabanes des
voisins, quitte à la consolider par de nouvelles adjonctions de pieux
quand le possesseur en aurait le loisir, on voit que le travail de premier-
établissement n’était peut-être pas aussi gigantesque qu’il le paraît
dès l’abord.
Un autre inconvénient était la chute possible des enfants dans
l’eau. On sait que les Péoniens du lac Prasias y paraient d’une ^manière
fort simple. « De peur que leurs petits enfants ne tombent à l’eaur
ils les attachent par le pied avec une corde » (‘). Du reste, l’expérience
actuelle des villes riveraines des lacs nous montre que les
enfants indigènes se noient bien rarement ; qui les voit jouer sur les
quais, sur les bâteaux, sur les rochers de la rive doit les juger presque
aussi exposés que ceux des anciens' lacustres qui perchaient sur despilotages
; or, personne ne songe à abandonner l’habitat des bords du
lac par la crainte de ce danger, presque imaginaire.
Un troisième, inconvénient était plus sérieux, c’était le s ’ chances1
d’incendie. Ces villages de bois, à cabanes plus ou moins pressées les
unes-contre les autres, étaient bien inflammables ; on né se gênait
pas d’y allumer du feu, la preuve en est dans les nombreuses;
pierres de foyer que l’on y trouve; l’incendie devait faire des ravages
terribles dans ces monceaux de matières combustibles. Et, dans le fait,,
nous croyons reconnaître des traces directes ou indirectes de combustion,
d’incendie dans toutes les ruines lacustres qui ont été étudiées,
avec soin. Le feu devait être le grand danger ; c’était en particulier
(*) Hérodote, V, 16.