du Léman. En l’absence d’une limnologie générale qui n’existait pas
encore lorsque j’ai écrit mes deux premiers volumes et, lorsque j’en
suis arrivé à mon troisième volume, pour servir de justification à la
partie biologique de la Limnologie générale que j’avais donnée dans
les Manuels géographiques d ’Enge lhorn, j ’ai été amené à des dissertations
théoriques, à des développements et à des discussions dépassant
de beaucoup les nécessités et les convenances d’un simple exposé
des choses. Je ne regrette pas d’avoir dû céder aux entraînements
qui m’ont si souvent fait aller au-delà de la pure objectivité des faits
pour essayer d’explications théoriques indispensables ; mais je ne puis
donner mon livre comme un modèle pour la description d’autres lacs.
En terminant cette monographie du Léman, je suis heureux de
rendre hommage à l’excellence de la méthode géographique dont
j ’énonçais avec anxiété, dans la préface de mon premier volume (I. x.)
et les difficultés et la grandeur. Tandis que la philosophie antique
embrassait d’un même coup-d’oeil l’ensemble des études de la nature, à
mesure que les sciences naturelles se sont développées, elles ont constaté
que la spécialisation devenait une condition indispensable du progrès;
on reconnut qu’il devenait de plus en plus impossible de tout
étudier simultanément, et que, pour avancer, le scientiste devait se
restreindre. Le XIXe siècle a été la grande époque de la spécialisation,
et les résultats ainsi obtenus ont été d’une fécondité extraordinaire.
Mais d’autre part l’on s’est aperçu que l’étude isolée d’un seul des chapitres
distincts de la science raccourcissait trop le champ visuel de
celui qui s’y confinait, qu’il était nécessaire de réunir, en une utilisation
plus ou moins extensive, les faits conquis dans d’autres directions
par les travaux individuels d’autres spécialistes; que, pour produire
tous leurs fruits, les différentes branches de l’histoire naturelle
devaient s’appuyer les unes sur les autres, se féconder les unes les
autres.. C’est alors que l’on est revenu aveçjoie aux études plus
générales en les mettant sous le couvert et en les rangeant sous le
drapeau de la géographie.
La Géographie,- en effet, a une noble ambition et un magnifique programme
: entraînée par sa définition, elle aspire à embrasser dans une
vaste généralisation l’ensemble des sciences qui traitent de la terre et
de ses ' habitants, c’est-à-dire toutes les sciences humaines. Dans la
géographie physique, "élle appelle à elle la plupart, Sinon la totalité des
sciences physiques et naturelles; dans la géographie historique et politique,
elle réunit le plus grand nombre des sciences économiques,
ethnologiques et historiques. Dans la vaste hospitalité qu’elle offre à
toutes recherches dont elle sait utiliser les résultats, la géographie ne
repousse rien ; elle admet tout, elle comprend tout. Cela étant, quand
nous avons à faire une étude qui profite des différentes données des
diverses sciences naturelles et qui en réunit les découvertes, nous sortons
de nos laboratoires spéciaux du géologue, du zoologiste, du botaniste
ou du physicien, et nous entrons en géographie. Ici il nous est
permis de généraliser, d’abandonner la spécialisation, après avoir
mis à contribution ses découvertes, et de contempler dans un coup-
d’oeil d’ensemble les faits conquis dans les diverses disciplines de la
science.
La description de la terre n ’est pas l’énumération et la description
individuelles de chacune des catégories d’êtres et de choses qui se
rencontrent sur notre planète ; c’est bien plutôt le tableau d’ensemble
offert par la réunion de ces diverses catégories, par leurs rapports les
unes avec les autres, par les réactions qu’elles reçoivent du milieu
dans lequel elles sont plongées, et qu’elles produisent sur ce milieu.
C’est en suivant cette méthode d’utilisation générale des données
offertes par les diverses sciences naturelles et leurs études spécialisées,
cette méthode de synthèse des faits analytiques qui décrit le tout et
non la partie, le corps tout entier et non l’organe isolé, que la géographie
a pris dans les cinquante dernières années une position si considérable
dans la conquête des faits et des idées. Que l’on admire, par
exemple, avec nous, les révélations de l’océanographie ! que l’on nous
permette de placer à côté d’elles son émule aux allures et aux prétentions
plus modestes, la limnologie ! Si la grande soeur a souvent servi
de modèle à sa jumelle, celle-ci n’a pas été sans influence sur les progrès
de l’océanographie; les deux disciplines se sont entr’aidées mutuellement.
L’océanographie, la limnologie, nées dans le dernier tiers du
XIXe siècle, sont déjà parmi les rameaux les plus feuillus, et aussi les
plus fructifères du grand arbre de la géographie.
Les espérances que j’émettais, en tête de ces volumes il y ^a
douze ans, se sont, on me permettra de l’affirmer ici, heureusement
réalisées. .
Quelques-uns des problèmes qui étaient posés à notre curiosité sont
résolus, les uns définitivement, je veux l’espérer, les autres dans des