Los faits d obseï vation justifiant donc mon hypothèse, j ’eus recours
à 1 expérimentation. Le 12 mars 1877, je jetai dans le lac, devant mon
jardin, à Moi ue.s. trois blocs de craie blanche f]uo j’avais désignés par
des marques suffisantes. Je retrouvai une de ces pierres (fig. 206) le
26 novembre de la même année, soit 250 jours plus tard. 21 larves de
Tinodes lurida s’y étaient établies; bon nombre d’entre elles avaient
•choisi pour y fixer leurs galeries soyeuses (l’adhérenCë étant évidemment
plus solide) les sillons tracés par mon canif qui y avait dessiné
mes initiales; et c e s t ainsi que ces larves, en élargissant ces sillons,
•ont, pour compléter la démonstration, inscrit mon nom sur cette
pierre (*). La preuve est . parfaite : les
larves sont capables en huit mois de
creuser des galeries de 1 à 2m>» de
profondeur dans une pierre calcaire
tendre comme la craie blanche.
Est-ce une action chimique, est-ce
une action mécanique? En faveur de
cette dernière supposition parle le fait
que des sillons analogues à ceux de
nos pierres calcaires, sont dessinés par
les larves de Tinodes sur les pilotis de
(Fig. 222.) Sillons méandriques. Ouchy. ^éis *^®S quais du jâC (fig. 215). Pour
(Fig. 2230 Cupules ovales, s t suipioe. juger définitivement la question i’eus
Echelle 0:20. ’ ' ’ J
encore recours à l’expérimentation. En
mars 1878, je composai des blocs artificiels de ciment dans lequels j’insérai
des morceaux de dix échantillons' de substances différentes, également
tendres, mais de composition chimique diverse; je les déposai
au fond du lac dans la ténevière de la grande cité lacustre de Morges;
•dix mois après, le 25 janvier, j’allai les relever; je constatai que nombre
de mes échantillons n ’avaient pas été attaqués d’une maniéré
utile par les larves de Tinodes, mais que deux de ces morceaux cependant
avaient été également sculptés, à savoir la craie blanche et la
(>) Les parties où l ’on peut retrouver la largeur des traits de canif originaux
•sont entre autres le bas du jambage de drpite de VA, le jambage vertical ainsi que
le/crochet médian du second F, et la plus grande partie des chiffres de 1876. Au
contraire, les parties élargies par les lapves "de Tinodes sont le premier F, presque
entier, le jambage de gauche, la partie supérieure du jambage de droite, la barre
-horizontale de l’A, la barre supérieure du second F, etc. (fig. 206).
cire d’abeilles (fig. 214). La craie, le bois, la cire d abeilles étant de
même attaqués par nos larves, il n’y a pas à hésiter à invoquer une
action mécanique pour cette sculpture. La question est donc jugée.
Si l’on m’objecte que la dureté d’un bloc de calcaire‘alpin ou jurassique,
sur lequel nous trouvons des sillons insculptés, est toute autre
que celle du morceau de craie ou d elà cire d’abeilles, où, en quelques
mois, nos larves ont inscrit mes initiales, je répondrai que je n attribue
pas la sculpture profonde que nous constatons sur nos galets du lac à
l’ouvrage d’une seule larve, dans une seule année. Pour ces pierres
relativement dures, il faut la répétition, souvent renouvelée, de larves
de la même espèce, établissant leurs
galeries à la même place, dans le mèmê
lieu. Cette répétition d’un établissement
identique, exactement au même
point, s’explique fort bien, car les larves
choisissent évidemment un sillon
naturel déjà creusé par une irrégularité
originale dè la pierre pour y fixer
plus commodément les soies de leur
galerie; le sillon qui a tenté les-larves
des générations précédentes, séduil a 224.) Sillons creusés par des larves
de môme leurs successeurs; sans par- cle Tinodes lurida. Ténevière de palafit
te de Morges. — Echelle- 0.40.
1er encore dé l’éventualité que je Crois
avoir constatée de l’utilisation, par une jeune larve, d’une galerie' abandonnée
par la nymphe qui s’est transformée en mouche.
Voici une description sommaire de la larve de Tinodes lurida :
« Larve d’Hydropsychide sans branchies externes. Tête carrée en avant,
arrondie en arrière, brune; corselet brun-verdâtre, mésothoràx, méta-
thorax et' abdomen verts. Appareil du dernier anneau de l’abdomen
bâti sur le type des larves à branchies externes^1). Cinq tubes à l’anus.
Pattes d’un brun clair. Poils longs sur la tête et le thorax, nuls sur
l’abdomen. Long. 10-12mm. Larg. 1.5;2mm. Abri. Galerie adhérentè à la
pierre, de forme variable, souvent contournée, formée d’un tissu
soyeux à la partie non adhérente seulement, ouverte aux deux extrémités,
de longueur double et triple de celle de la larve. »
,(*) Voir F.-J.Pictet, Recherches sur l’histoire des Phryganides. Genève 1834, p. 97.