Morges. Donc, station des Roseaux, civilisation de la pierre incontestable.
Mais si le bronze a été introduit dans cette station, ce qui caractérise
l’âge de transition, ces bronzes des Roseaux sont d’un tout autre
type que ceux de la cité de Morges; c’est ce que nous montre la
planche XIII : les hachettes n03 1-5,9 et 10 des Roseaux sont différentes
des haches nos 11-14 et des gouges et Ciseaux nos 15 à 17 de la cité
de Morges; les lancèttes des Roseaux, nos 7 et 8, sont différentes des
pointes de lances de la cité de Morges, nos 18 et 19. La démonstration
de l’indépehdancê des deux stations est faite.
10. Station de l’Eglise {Morges), petit palafitte sur une ténevière,
entre la grande cité de Morges et le golfe de l’Eglise. Age de la pierre.
Elle est remarquable en ce que la position des cabanes y est encore
apparente. Dans la couche de cailloutis qui forme la ténevière artificielle
de cette station, l’on voit distinctement des carrés ou des rectangles
à angles arrondis, en rangées alignées, qui laissent apparaître l’ancien
sol du lac. Il semble que les Cailloux et galets aient été jetés ou
soient tombés tout autour du plancher de la cabane, dans la ruelle séparant
les maisons les unes des autres. Ces levées de cailloux atteignent
une hauteur de 4, 5 ou 7 décimètres au dessus du sol naturel.
Les dimensions des cabanes n’étaient pas très grandes : 3,4 ou 5 mètres
au plus de côté.
11. Grande cité de Morges. Cette importante bourgade occupait un
espace de 400mde long sur 40, 60 à 100m de large, s’étendant parallèlement
à la rive, au devant de la ville actuelle, à I20m du quai, sous
3 à 5m d’eau. Les pilotis y sont très nombreux; le sol peu envasé,
est jonché de pierres, de débris de poteries, de poutres informes ou
taillées; la couche archéologique y est presque partout â nu, de là la
richesse des trouvailles. Un canot creusé dans un tronc de chêne, gisait
dans la vase au devant de la cité et faisait le plus bel ornement de
ses ruines. 11 était autrefois entier ; mais, vers 1823, quelques jeunes
gens cherchèrent à retirer de l'eau ce qu’ils appelaient un bassin de
fontaine. Le Canot se brisa en deux moitiés dont ils amenèrent l’une
au rivage; le bois ne tarda pas à se fissurer et à tomber en poussière
sous l’effet d’une dessication au soleii(’). Nous en conservions soigneusement
la seconde moitié dans le lac et nous la gardions contre la ra-
(')Récit personnel de feu le syndic Jean Re ymond, de Morges.
PALAFITTEBRS
pacité des archéologues, quand le 7 novembre 1877 des pirates genevois
sont venus subrepticement nous l’enlever; il est exposé actuellement
dans une vitrine du musée de Genève.
La cité de Morges a été construite pendant le bel-âge du bronze;
«lie a été détruite par le feu de l’ennemi avant l’importation du fer.
Aussi toutes les pièces archéologiques qui en viennent sont typiques
■et appartiennent sans conteste à la plus belle époque de l’âge du
bronze. 11 n’y a pas trace de mélange avec les autres âges lacustres; :,
ni pierre, ni hachette de l’âge de transition ; du fer, une ou deux pièces
datant du moyen âge ou des temps modernes.
Grâce à des Circonstances favorables de non envasement du sol et
de facilités des recherches, grâce aussi à la richesse du gisement, elle
a été la station la plus instructive et la plus féconde du lac Léman.
G’est par milliiers de pièces que l’on compte les trésors q u iy ont été
recueillis par F. T ro y o n , A. de M o rlo t, H. C a r r a r d , MM. Monod,
R e v illio d , J. C r o is ie r , par mon père et par moi-mème.
Parmi les objets les plus intéressants trouvés dans la cité de Morges,
je citerai un moule de hache en bronze, à deux coquilles, dénotant
par les détails de sa construction et de ses réparations une perfection
remarquable dans l’art du fondeur(0; je citerai encore un anneau
réniforme, très orné, connu sous le nom d’*anneau de serment» dont
la destination est encore douteuse (2).
Le grand intérêt de ces trois stations de Morges, qui les a rendues,
classiques dans l’histoire de la science, réside surtout dans la séparation
complète des trois âges archéologiques dans trois villages séparés.
Au lieu de construire à nouveau sur la même ténevière, comme cela
a eu généralement lieu, les bourgades qui se sont succédé dans le
golfe de Morges, les anciens Palafiteurs ont choisi pour y placer les pilotages
des constructions nouvelles des localités voisines parfaitement
distinctes des précédentes; la station de l’Eglise dans l’âge de la
pierre, la station des Roseaux dans l’âge de transition, la cité de Morges
dans l’âge du bronze. 11 en est résulté une séparation parfaite des
(') Signalons ici un fait curieux. Le moule des haches de Morges porte sur une
des coquilles une marque du fondeur, une croix oblique qui vient en relief sur le
corps même de la hache, entre les deux oreilles. Or nous n avons jusqu a présent
pas retrouvé une seule hache qui porte-telle marque de fabrique ; en particulier
aucune des soixante haches trouvées k Morges n’est sortie du moule dont nous
•avons les coquilles.
E Album [loc. cit., p. 425], pl. XXVIII, fig. 9, XXXIV, fig. 2.