
 
		de travailler  le  bronze.  Tous  les bronzes, tous les  cuivres de l’âge de-  
 transition  sont donc de fabrication  étrangère. 
 Mais  plus tard  le métal est devenu abondant, surabondant. Dans une  
 station  comme  la  grande  cité de Morges, il  a  suffi  à  toute  l’industrie;  
 les  armes  et outils de pierre ont disparu. 
 Le  bronze  y   était-il  travaillé  sur  place,  ou  était-il entièrement d’importation  
 étrangère,  importation  d’objets  fabriqués  à  l’étranger?  La  
 trouvaille dans nombre de palafittes  de  creusets,  de  lingots  de  cuivre  
 et d’étain,  de  moules  en  bronze,  en  pierre  ou  en  argile,  montre qu’il  
 y  avait  une industrie locale,  sur place. 
 Je  ne  dis  pas  industrie indigène.  Je n’attribue pas nécessairement  à  
 des  artistes de la tribu de nos Palafitteurs la fabrication des bronzes que-  
 nous  retrouvons dans les ruines des stations lacustres. En effet tout nous  
 fait  croire  que  les  procédés  de  l’extraction  du métal et de la fonte en-  
 outils,  armes  ou  ornements  ont  été inventés  ailleurs.  Où ?  nous ne le   
 savons guère ;  ce n’est pas le lieu de discuter sur cette question difficile. 
 11  est peu  probable que  les  artistes  étrangers  en  possession  de  la   
 technique métallurgique aient  été admis à pratiquer  librement leur industrie  
 dans  les palafittes.  Les  traités  de  commerce qui  inscrivent  le-  
 droit d’établissement de l’étranger dans  le  ressort  national  sont  d’invention  
 moderne. La tribu  sauvage, la peuplade demi-civilisée,  sont exclusives  
 et étroitement protectionnistes. Ne voyons-nous pas cette maladie  
 économique  exercer  ses  ravages  chez  des  contemporains qui  se.  
 disent ultra-civilisés ? 
 J’ai un argument  assez  fort  contre la supposition que l’industrie métallurgique  
 serait devenue  indigène. Les  ustensiles  de bronze,  ceux du  
 bel-âge du bronze, sont en général remarquables par  la  beauté de  leur  
 forme;  ils  sont dessinés.  Sans parler des bracelets et autres ornements,,  
 même les  instruments tranchants  les plus ingrats,  les  outils,  les  couteaux, 
   les  faucilles,  les pointes  de lances ont des lames  élégantes bien  
 étudiées, bien  travaillées. Le fondeur cherchait la forme et il  la trouvait.  
 Or ces pièces magnifiques, dont quelques-unes pourraient servir de modèles  
 à nos ciseleurs modernes, et qui repoussent dans l’ombre les lames-  
 grossièrement rectilignes  et lourdement arrondies de nos  couteaux de  
 table ou  de  poche actuels,  étaient  parfois  emmanchées  dans  des  blocs:  
 informes  de bois,  de  corne de  cerf ou  d’os. Dans toutes nos collections-  
 des  palafittes  on  peut-voir  des  couteaux  aipsi  déshonorés' dont  les.-  
 deux parties jurent douloureusement  l’une  à  côté de  l’autre;,  la  lame 
 de  bronze  fondu  est  l’oeuvre d’un  artiste;  le  manche que  le  propriétaire  
 y avait  adapté  e s t  le  travail informe d’un  sauvage brutal  et grossier: 
  Donc  le fondeur et le propriétaire du couteau  appartenaient à deux  
 races  de génie différent ;  donc le fondeur  était  un  étranger. 
 J’ai  assisté en  1867 à une  scène  qui m’a très actuellement représenté  
 comment les  choses devaient  se passer autrefois. Un  fondeur de bronze  
 ambulant  venait  d’arriver  au  Sépey,  village  des Alpes vaudoises.  Originaire  
 d’une vallée montagnarde du Piémont,  il n’avait pour  assistant  
 que son fils,  son  apprenti;  il  entrait dans le village,  allait de maison  en  
 maison demander de l’ouvrage, offrant de réparer les cloches de vaches.  
 Tout ce  qu’on  avait de  cassé, on  le lui  apportait.  Son bagage industriel  
 consistait en  un soufflet,  du  sable  à mouler, deux poinçons et quelques  
 morceaux de vieux  bronze.  11  s’installait  sur la place  du village,  établissait  
 sa  soufflerie  et  son  feu,  faisait dès  moules  en  appliquant son  
 sable  sur les  cloches  qu’on  lui  prêtait;  il  en  tirait  un  creux  qu’il marquait  
 de ses poinçons.  Après  avoir  fait fondre  dans  un  creuset  les débris  
 de  bronze qu’on  lui  apportait,  en  les  appareillant  au juger pour  
 obtenir  un métal  convenable, il  coulait les  cloches et  réussissait le plus  
 souvent  ses  fontes.  J’ai  eu  l’impression que j’avais, devant moi le descendant  
 en ligne directe,  à  cinquante  ou  cent générations  de distance,  
 des  fondeurs qui venaient  autrefois de l’étranger exercer leur industrie  
 dans nos palafittes;  une tradition non  interrompue avait conservé dans  
 la famille les procédés  et les  tours de main  du métier. 
 Ce  n’est  pas  à dire qu’à  côté de  ces  industriels  ambulants,  le  colportage  
 du  commerce n’introduisît des produits de  l'industrie fabriqués  
 en pays  étrangers ;  que la guerre qui est  le brigandage des nations,  et  
 le  brigandage  qui  est  la  guerre  des  individus, n’apportassent  dans  le  
 village  le  butin pillé dans  des  tribus  éloignées.  C’est  seulement  ainsi  
 que  s’explique  l’apparition  des  pièces  uniques,  le  vase  de  bronze  
 fondu (')  de Corcelettes,  l’anneau de  serment de Morges  (2),  les perles  
 étrusques  ou  phéniciennes  des  colliers  de  Guévaux,  d’Estavayer  e t  
 deChevroux(3). Mais  ces  accidents ne sont pas pour altérer le caractère  
 de l’industrie chez nos Palafitteurs, industrie à la  fois locale en ce qu’elle  
 était exécutée  sur place,  et étrangère en  ce qu’elle  était probablement  
 l’oeuvre d’artistes  ambulants, venant peut-être de fort loin. 
 (’)  Album d’Antiquités lacustres. Musée  de Lausanne pl. XXV, 1  et 3. 
 (a) Ibid. XXVIII, 9. 
 (3)  Ibid. XXXI,6 à 40.