Le développement remarquable de la civilisation implique une
période fort longue. Elle a passé par des degrés successifs dont chacun
a exigé un laps de temps important. Faisons-en la revue en nous
bornant à caractériser les grands traits et en négligeant les détails et
les transitions.
Les plus anciens palafittes de l’âge de la pierre, ceux de Ghavannes-
au. lac de Sienne, par exemple, nous montrent une industrie encore-
bien primitive et fort rapprochée de celle du paléolithique. Le silex
éclaté est encore dominant dans les instruments tranchants ; quelques-
haches cunéiformes de roches serpentinoïdes ou pierres vertes, martelées
et aiguisées, quelques poteries de pâte grossière, et d’ornementation
rudimentaire, sont cependant franchement néolithiques.
Nous avons ensuite lès stations plus modernes,; ce que nous appelons
Je bol-âge de la pierre, où l’on trouve des pierres néphritoïdes, de
l’ambre, des haches en pierres serpentinoïdes, non seulement martelées
et aiguisées, mais encore sciées et percées d e douilles) où la
poterie est plus perfectionnée. Quelques-unes enfin de ces stations de-
l’âge de la pierre reçoivent des outils et bijoux de cuivre ou de bronze,-,
ce qui nous les fait placer dans l’époque de transition.
Viennent ensuite les stations où le mobilier, de bronze devient dominant,
puis exclusif et nous .sommes'dans le bel-âge du bronze, caractérisé
par un essor magnifique de toute l'industrie;, ce qui tient à la.
métallurgie et à l’art du potier est, par la nature des matériaux d é .
facile conservation, ce qui nous frappe le plus. Les objets de métal sont
une apparition nouvelle'et ne peuvent nous servir de comparaison
avec les âges antérieurs; mais nous voyons la technique du fondeur-
se perfectionner grandement en passant de la station des Roseaux à
la grande cité de Morges ('). A la fin du bel-âgë du bronze nous trouvons
même quelques pièces de fer, montrant l’approche de la nouvelle
civilisation qui va envahir le pays. Quant à la poterie elle nous,
fait voir des progrès splendides depuis l’âge de la pierre; des vases de
terre fine, vernis au graphite, d’une pâte noire très élégante, portent,
des ornements en gravure, en incrustation de pâtes colorées ou de
lames de métal, de grande perfection et d’excellent goût. 11 est incontestable
que ces développements industriels ont demandé bien du.
temps, bien des siècles.
Ne nous laissons cependant pas emporter trop loin. Si tout ce progrès
industriel-avait été autochthone, s’était fait sur place, uniquement et
•exclusivement-dans le sein même de ces tribus perchées sur leurs
pilotages, ce passage successif par tous les échelons de la civilisation
la plus primitive jusqu’à l’aurore de l’âge du 1er, où nous sommes
encore Aujourd’hui, nous devrions rechercher des durées énormes
pour cette histoire antéhistorique. Mais nos Palafitteurs n’étaient pas
isolés dans une île au milieu de l’océan ; ils avaient contact avec les
peuples voisins ; le commerce leur apportait des produits nouveaux,
e t il est probable que, pour les degrés les plus écartés de l’échelle de
la civilisation, l’invention de la métallurgie du bronze, et de celle du
fer ont été faites en dehors de notre pays. Cette réflexion qui s’impose
à nous nous commande la modération dans l’évaluation des durées
de l’ère des Palafitteurs. Mais quoi qu’il en soit,, cette histoire
locale des-progrès de la civilisation ne peut avoir été parcourue en
quelques années ; ce sont des séries de siècles qu’elle implique nécessairement.
11 en est de même des modifications constatées dans les races des
animaux domestiques et les variétés des plantes cultivées ('); en
l’absence de changements paléontologiques des espèces sauvages qui
n’ont pas eu lieu pendant l’ère qui nous occupe, c’êst à elles que nous
devons nous adresser si nous voulons consulter les faits biologiqués.
A l’époque de la pierre ancienne les Palafitteurs étaient surtout des
chasseurs ; le bétail ne se multiplia que dans les stations de la pierre
récente, et ne devint, abondant et varié qu’à l’âge du bronze. De même
pour les plantes cultivées. Encore ici est-il probable que l’importation
de l’étranger aussi bien pour le bétail que pour les plantes est intervenue
pour hâter les progrès, trop lents s’ils avaient dû être tous con-.
quis par l’industrie indigène.-Mais les degrés et l’étendue de progrès
aussi importants, quelle qu’en soit la source, réclament eux aussi une
longue durée pour le développement que nous constatons du commencement
à la. fin de l’ère des Palafitteurs.
Qu’il me soit permis d’apporter ici quelques observations personnelles
qui amènent aux mêmes conclusions : durée considérable de
l’ère des Palafitteurs.
(x) Voir les études de L. R ü t im e y e r et de Th. S tu d e r pour la faune des
palahtt.es, celles d’O. He er pour leur flore.