-dans le Léman, le plus isolé des lacs, comme nous l’avons vu apropos
■de la faune ichthyologique littorale.
Quant à penser à des créations locales de ces espèces d’après le
langage de l’ancienne biologie, comme nous le disons plus justement
-aujourd’hui, à des d i f f é r e n c i a t i o n s lo c a l e s dans le lac'Léman,
-depuis l’époque glaciaire c’est absolument impossible. C’est à l’état de
Corégones, de Salmo salvelinus que les ancêtres de nos Féras, de nos
•Gravenches, de nos Ombles sont entrés dans notre lac.
Ils ont donc été importés par migration passive; ils ont été apportés
•dans le lac. Mais comment? J’avoue que je n’y comprends rien; je ne
vois aucune solution certaine. 11 n’y a pas moyen de penser au transport
par les vents, par les courants d’éau (les ruisseaux qui font actuellement
corúmuniquer le Léman aux autres bassins hydrographiques),
-ou par d’autres Poissons.
^ Je ne vois que deux possibilités, mais elles sont aussi improbables
l’une que l’autre: le transport par les Oiseaux migrateurs, ou le transport
par l’Homme.
L importation par les Oiseaux migrateurs. Prenons le cas le plus
•facile, celui de la Gravenche qui fraie en beine, et dont les oeufs sont
par Conséquent abordables aux Canards ou autres Palmipèdes. Mais
ce sont des oeufs sphériques de 2*™ de diamètre, à coque solide, non
mucilagineuse; ce sont des oeufs qui ne résisteraient pas à une dessication
de quelques heures. Comment adhéreraient-ils au corps des Palmipèdes;
comment survivraient-ils au transport à distance? Et comme
ce sont des animaux à sexes séparés, pour qu’une importation réussît
il faudrait qu’un oeuf mâle et un oeuf femelle soient transportés avec
■succès dans le même temps et dans la même région du lac- et que les
•deux individus devenus adultes aient pu se rencontrer et se féconder.
Quelqu ingénieuse que soit son imagination de romancier, le zoologiste
m’arrivera pas à réunir ensemble les conditions complexes d’une telle
importation laissées aux seuls hasards de la nature.
Reste l’importation artificielle, voulue et cherchée par l’Homme.
Mais il faudrait la faire remonter bien avant le XVF siècle, car Rondelet
•décrit déjà la Féra et l’Omble comme abondants dans le Léman; nous
retrouverons la Féra et la Gravenche (Palataé) du Léman dans des doc
um e n ts de 1376 et même de 1150. (Voir plus loin.) Les Romains se sont-
ils jamais occupés de pisciculture? Je pose la question aux historiens
d u peuple le plus civilisé •— et aussi le plus gourmand — de l’antiquité.
Quoi qu’il en soit de ces.Poissons, il n’en est pas moins probable, je
dirai: il est certain, que les organismes pélagiques des lacs d’eau douce
doivent leur dissémination aux migrations passives, et plus particulièrement
au transport par les Oiseaux migrateurs. Ils ont donc partout
•une origine commune, et, que nous les trouvions dans un lac ou dans
un autre, nous pouvons admettre que, dans un passé plus ou moins
éloigné, il y a e"u apport de germes venant d’un autre lac plus ou
moins distant, échange de germes avec les lacs voisins.
Cela étant, il devrait y avoir la plus grande uniformité dans la population
pélagique des divers lacs; et cependant on y constate des différences
suffisantes pour que les spécialistes y décrivent des variétés
locales, et'que nous soyons nécessairement conduits à admettre dans
certains cas des procès de différenciation,dans des eaux tellement analogues
cependant que nous devons les dire presque semblables.
Voici comment l’on peut concilier ces deux résultats divergents et
expliquer, dans certains cas, l’uniformité de l’espèce dans des lacs
différents; dans d’autrès cas, des variations locales nombreuse^. Je
m’appuierai sur les conclusions de G. B u r c k h a r d t à la fin de sa
belle étude sur le Plancton animal des lacs suisses.(>).
Lorsqu’une espèce produit des oeufs d’hiver ou des germes suffisamment
robustes pour que le transport en soit possible ou facile,
lorsque cette production a lieu dans une saison qui coïncide avec les
voyages des Oiseaux migrateurs, alors il y a apport fréquent de sang
nouveau dans les colonies d’organismes établis dans les divers lacs;
ce renouvellement constant de ia race empêche la formation de variétés
locales et maintient un type spécifique moyen. C’est le cas chez
les Rotateurs, les CopépodeS et la plupart des Cladocères. (Cténodaph-
nies', Hyalodaphnies , Cériodaphnies, Scapholeberis, Bylhotrcplies,
Leptodora.)
Lorsque, au contraire, il y a impossibilité de communications directes
entre les colonies d’une espèce confinées dans deux lacs différents,
lorsque les procédés de la migration passive sont'difficiles ou
impraticables, par, exemple, par manque d’oeufs d’hiver qui sont le
grand agent de dissémination, alors il peut y avoir production de variétés
locales. G. B u r c k h a r d t nous cite les cas de Daphnia hyalina
e t dê Bosmina corer/oni, qui sont fort instructifs à ce sujet. De ces
(1) Burckhardt, loc. cit. [p. 961 p. 680.