poraire renfermant des masses d’eau de ce volume est difficile à loger
dans le Bas-Valais; la valléë n’est pas très large, et par conséquent ce
lac aurait dû être très profond. Mais un barrage assez fort,pour contenir
un lac profond n’est pas balayé par la rupture de la digue; il s’y
fait une brèche, et le reste du barrage subsiste. Or des traces d’un tel
barrage sont inconnues.
Précisons les faits par quelques chiffres. Le lac temporaire admis
par M o rlo t et T ro y o n en amont de l’éboulement de la Dérotschia
s’étendait au-plus jusqu’à St-Triphon, disons 10lim de longueur; limité
par les murailles de là vallée, il avait en moyenne 4km de large. Sa superficie
était de quelque 4Dk“ 2. Attribuons-lui une profondeur moyenne
de 10“ , ce qui dépasse toutes les éventualités possibles, étant donné
ce qui subsiste du barrage; cela représente une masse d’eau de 400
millions “ 3. Or ce volume d’eau réparti sur les 582k“ 2 du Léman ferait
une crue de 0.7“ à peine; celle-ci n’étant pas subite. La crue'ne serait
pas instantanée, car le barrage ne peut pas avoir été enlevé d’un coup
sur toute la longueur,et l’écoulement de l’eau a duré certainement plusieurs
quarts d’heure. D’autre part, l’étude des seiches nous a appris
la vitesse de translation d’une vague d’un bout du lac à l’autre : la
moitié de 73 minutes, soit 36,5 minutes. L’écoulement du lac temporaire
du barrage de la Dérotschia ne peut pas avoir causé des r.avàges
plus graves que n’en ont apporté les grandes seiches décrites par les
auteurs dans les siècles derniers.
Je crois arriver ainsi à la réfutation complète de l’hypothèse d’un lac
temporaire causant les désastres des rives du lac Léman. Je me trouve
donc en présence die deux alternatives : '
Ou bien le récit des chroniqueurs est exagéré; ils ont largement
brodé sur quelques données, ils ont étendu la sauce.
Ou bien le récit des chroniqueurs est exact dans tous ses détails et
il faut chercher quelque autre explication.
Liquidons d’abord ce second point.
J’avais proposé, en 1876, l’hypothèse d’une seiche énorme causée par
le tremblement de terre qui aurait en même temps déterminé l’éboulement
de la m ontagne(‘). Quoique depuis cette époque je sois revenu
. 0 En'analogie avec le tremblement de terre du l" mars 1584 qui a été la cause
efficiente de- -l’ébonletoeni de Corbeytipr-Yvorne survenu trois jourg.après
le 4 mars.
de l’idée que les tremblements de terre soient une caüse habituelle des--
seiches (^ n o u s avons assez d’exemples historiques de terribles raz de-
marées en connexion avec des tremblements de terre pour que je
maintienne cette hypothèse. Mais je veux encore souligner ce caractère
de pure hypothèse, et bien indiquer que si l’interprétation est admissible,
elle n’est prouvée par rien.
B é r a n e c k et de Val l iè r e expliquent le râz de marée par la chute--
du Grammont dans le lac du côté du Bouveret. Cette proposition qui,,
comme la suivante, n’explique qu’une partie des faits, à savoir les ravages,
de la vague furieuse qui aurait balayé les rives du Léman, n’est.
qu’une hypothèse pure; aucun fait local ne la justifie. '
D a v a li admet que la chute de la Dérotschia a eu lieu dans le lac loi-
même,.ce qui satisferait parfaitement à tous les détails de la catastrophe-
sur les bords du lac, ravagés par une énorme vague de transmission.
Mais cette hypothèse laisse de .côté toute la description de G ré g o ire -
du lac temporaire en amont de l’éboulement; puis elle implique qu’au.
VIe siècle le Léman sé serait encore étendu jusqu’à la Porte du Sex..
Est-ce admissible1? Villeneuve existait déjà à l’époqué'Yomaine sur la
colline de la Muraz au nord de la Tinière; c’était probablement l’ancienne
Pennilucus de l’itinéraire d’Antonin et de la carte de Peutinger.
Dès le XIe siècle il est question de la Villeneuve de Chillon, d’abord
sous le nom de Compengie, villa Compendiacum (1005), et depuis lors,
une série de chartes la relie à la Villeneuve actuelle. Donc au XL siècle
l’îlot de sable sur lequel nous voyons la ville moderne, était déjà:
émergé et portait un village. Dans le XIIe. siècle, en l’an 1177, l’église,
de Noville est citée pour là première fois dans une bulle du pape
Alexandre 111. Noville est plus encore que Villeneuve située dans la.
plaine du Bhône; est-il admissible d’après ce que nous savons des allures
du comblement-des lacs(2) que le Léman pût s’étendre auVIe siècle
jusqu’à la Porte du Sex(3) quand six siècles seulement après la
colline de Noville aurait pu porter un village ?
Mais ces hypothèses sont bien hasardées; je préfère croire qu’il y a
eu exagération considérable de la part des chroniqueurs. Quand nous-.
.(i) Voir Tome II, p. 200. .
| | | Voyez T. I, p. 266.
(3) A 3km amont de Noville et'à 5km amont de Villeneuve, ces distances comptées,
sur l’axe de la' vallée.