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dépeuplant le p a y s , en ruinant tous les propriétaires, en leur ôtant
les moyens de cultiver leurs champs et d’entretenir leurs canaux,
sont cause qu’il n’y a pas aujourd’hui en valeur le quart des terres
qui y étaient avant cette époque. Pour peu que ces troubles se prolongent
, pour peu que la population diminue encore, ce pays sera
en grande partie inhabitable, par les raisons que nous avons exposées
dans le chapitre VII.
Commerce.
Le commerce n’est plus ce qu’il était sous le règne des Sophis.
On sait qu’il avait pris , sous Chah-Abbas Ier. et sous ses successeurs
-, un accroissement prodigieux. Les Arméniens, les Banians,
les Juifs établis à Ispahan et dans les principales villes de la Perse,
recevaient , de toutes les contrées de l’Indoustan et de la plupart
des îles de l’Océan indien, un grand nombre de denrées et de marchandises
précieuses qu’ils répandaient dans le pays, ou qu’ils transmettaient
en Turquie et dans toute l ’Europe. Les communications
établies entre la Perse et les royaumes deBalkhe, Bokhara, Samar-
cande et Kachemire étaient devenues très-fréquentes. Presque toutes
les denrées de ces contrées, et toutes celles de la Tartarie et du
T ib e t , passaient par la Perse pour se rendre dans l’Empire otho-
man et dans la Moscovie. Les Européens établis, depuis le règne
d’Abbas Ier. , à Ispahan, à Chiras et dans les ports du golfe Per-
sique faisaient déjà passer en abondance, dans leur patrie, les produits
du sol et ceux de l’industrie.
Aujourd’hui les marchandises de l’Inde, destinées pour la T u r quie,
viennent directement à Bassora et à Bagdad, d’où elles sont
versées à Mossul, Alep et Damas. La Perse fournit très-peu à la
Turquie-, et n’en tire presque rien. Les Juifs, les Banians, ont tous
quitté la Perse , et le peu d’Arméniens qui y est resté, est plongé
dans la plus affreuse misère. Les nations européennes ont cessé peu
à peu d’avoir des relations avec ce pays. La Russie seule en avait
entretenu quelques-unes que l’inquiet et soupçonneux Méhémet
chercha bientôt à rompre.
Si Chah-Abbas avait pu transmettre à ses successeurs son génie
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et ses grandes vues de prospérité nationale, sans doute la Perse
serait devenue complètement le centre des communications que l’on
commençait à établir entre l’Europe et l’Inde : la puissance des
Anglais ne se serait pas accrue au point où nous la voyons aujourd’hui
, parce que cette nation n’aurait jamais pu s’emparer seule
d’un commerce que la Perse la première, que la Moscovie, la T u r quie,
et tous les Etats de l ’Europe ensuite, lui auraient disputé.
Commerce de la Perse avec la Russie,'
Nous avons déjà parlé des deux routes que les denrées et les marchandises
de l ’Inde peuvent prendre pour êtrè versées en Europe.
Nous avôns dit que celle par la Mer-Rouge et le Nil serait la plus
courte et la moins dispendieuse ; que celle par le golfe Persique et
la Syrie venait après. Il en est une troisième qui finira sans doute
par l’emporter sur les deux autres si la Russie parvient à mettre à
exécution les projets qu’elle paraît avoir de s’emparer des provinces
persanes et des provinces turques qui se trouvent entre la mer Caspienne
et la Mer-Noire ; si l’Empire othoman est livré encore quelque
tems à l’anarchie ou à la tyrannie des subalternes ; si l’E gypte,
la Syrie et les bords de l’Euphrate continuent d’être infestés par
des hordes arabes : elle l’emportera aussi sur celle du Cap de Bonne-
Espérance pour peu que les Anglais s’obstinent à exercer le monopole
de l ’Inde. La route dont nous voulons parler est celle de la
Perse et de la Caspienne, ou de la Perse et de la Mer-Noire. Les
denrées destinées pour la Russie et le nord de l’Europe entreraient
dans le V o lga , et seraient déposées àAstraean; celles pour le midi
se rendraient, par l’Arménie ou par la Géorgie, dans un des ports
de la Mer-Noire.
Les denrées du nord de l ’Indoustan ; celles de la Perse, du K an-
dahar, de Moultan, de Lahor, de Kachemire, de Balkhe, de Bokhara
, de Samarcande ; celles de la petite Tartarie et du Tibet ,
pourraient être livrées à Constantinople ou dans tout autre port
de la Mer-Noire, à a5, 3o , 4° et même 5o pour 100 meilleur marché
qu’on né les trouve à Amsterdam et à Londres. La rhubarbe,
le musc, les schals de Kachemire, les laines de chevron, les soies