il ne cessa de le faire bâtonner qu’il n’en eût reçu des sommés
très-considérables.
Bagher voyait dans sa prison les habitans des villages qui lui
appartenaient : il avait eu besoin de traiter avec eux afin de se procurer,
par leur moyen, de quoi fournir aux demandes qui lui étaient
faites ; il en profita pour écrire à Aga-Méhémet-Khan, et l’inviter
instamment à venir-délivrer la Perse de l’homme le plus inepte et le
plus cruel qui l’eût jamais gouvernée ; il l ’assurait dans ces lettres,
que l ’armée était déjà très-mécontente de Djaffar ; que le peuple
d’Ispahan , trompé dans son attente, était indigné de la conduite
de ce chef; que les grands le détestaient, parce qu’il les rançonnait
, et les menaçait de les faire périr les uns après les autres sous
le bâton s’ils ne rendaient compte exactement de tous les deniers
qu’ils avaient illégalement prélevés sur le peuple depuis la mort de
Kériïn.
■ Méhémet se trouvait délivré de tous ses ennemis. Après la désertion
de l’armée de Scheik-Veis, les troupes qui étaient à Aster-Abad
et dans quelques villes du Bas-Mazanderan avaient tenu bon, mais
elles s’étaient retirées dès qu’elles avaient appris la mort du roi.
Celles qui avaient été confiées à Moustapha-Kouli-Khan et à Mor-
teza-Kouli-Khan s’étaient également retirées, de sorte que toute la
province avait passé de nouveau au pouvoir de Méhémet.
Dès qu’il eut reçu les lettres de Bagher, il se décida à sortir de
sa province; il pourvut à la hâte à la défense des principales villes,
et avec cinq cents hommes seulement if osa s’avancer jusqu’à T é héran.
Là il réunit sous ses drapeaux plusieurs milliers dè soldats
qui s’y trouvaient. Rassuré par d’autres lettres qu’il re çu t, et plein
de confiance dans sa bonne fortune, il prit la route d’Ispahan. Son
armée s’augmentait tous les jours des débris de celles de Scheik-Veis
et d’Ali-Murad, de sorte qu’en arrivant à Cachan il se trouva avoir
des forces assez considérables.
Djaffar, qui ne jugea pas son adversaire bien redoutable, qui le
méprisa même un peu trop, ne daigna pas le combattre en personne?
il se contenta d’envoyer contre lui la majeure partie de ses troupes :
mais il arriva que les Curdes qui avaient déserté les drapeaux de
Scheik-Veis et emporté la caisse militaire, et qu’on avait eu le tort
de ne pas désarmer et punir, furent à peine à quelques lieues de la
v ille , qu’ils quittèrent l’armée et marchèrent vers leurs montagnes.
Les autres troupes, n’étant pas assez nombreuses pour résister à
celles de Méhémet, ou découragées peut-être par la désertion des
Curdes, refusèrent de combattre, et se débandèrent.
Djaffar, se voyant, par la perte de1 son armée , menacé d’être
bloqué dans Ispahan, sortit de cette ville le 4 de mai i 785 , avec cinq
Ou six mille hommes qui lui restaient, et se rendit à Chiras, ou il
espérait de rétablir ses affaires ; il emmena les fils d’Ali-Murad, à
qui il fit bientôt crever les y eu x , et emporta des sommes considérables
, et tout ce que le trésor royal renfermait de plus précieux.
Ce trésor, malheureusement pour lu i, le devançait de quelques
heures. Confié à une garde de cinq cents hommes, il fut attaqué et
pillé par les gens de Bagher, qui s’étaient réunis, à quelques lieues
d’Ispahan, au nombre de douze ou quinze cents. Djaffar avait mis
en liberté, la veille de son départ, le malheureux Bagher, après lui
avoir fait prêter serment de fidélité sur la porte de la mosquée
royale, comme si un serment arraché de force pouvait lier celui à
qui on a fait subir les plus cruels traitemens,
. Méhémet entra le 6 dans Ispahan (1); il mit sur les habitans une
forte contribution, augmenta son armée par les largesses qu’il lui
fit , et marcha le i 5 de juin vers les montagnes de Péria et du Loris-
tan, dans l’intention de soumettre ces contrées.
Il ne fut pas aussi heureux dans cette guerre, qu’il l ’avait espéré;
il fut battu par les Lors et les Bakhtiaris réunis, et obligé de se
retrancher pour éviter une déroute. Après la bataille la dissention
s’étant mise parmi les habitans de ces montagnes, à l’occasion du
f (i) M. de Ferrières-Sauvebceuf dit que Méhémet entra dans Ispahan le a de mai ,
et il place à cette époque le pillage qui'eut lieu les i 5 , 16 et ly de février. Mémoires
historiques , politiques et géographiques, tome I , pag, 297. Nous préférons suivre
les notes que nous avons recueillies dans cette ville. Il nous parait que Meheniet,
qui voulait régner sur les Persans, ne pouvait permettre à son armée le pillage de la
capitale, lorsque d’ ailleurs cette capitale renfermait un parti très-nombreux qui lui
tendait les bras.