avait été sur le point de l ’obtenir : l’idée qu’il pouvait s’en emparer
lui-même flatta son amour-propre j et bientôt l ’occupa tout entier.
Tenace, entêté, persévérant, il ne perdit jamais son objet de vue.
A v a re , il amassa des trésors. Devenu plus riche que ses ennemis,
il put solder plus de troupes. Cruel, il détruisit ou mit en fuite ses
frères, dont il craignait le courage et la popularité; il fit périr tous
ceux qui lui portaient ombrage. Eunuque enfin, il n’eut du goût
pour aucun plaisir, si ce n’est pour la chasse; il fut morose, taciturne
, et concentré dans un cercle d’idées qui devinrent d’autant
plus vives, qu’elles furent moins nombreuses. A in s i, comme on.
v o it , le fer qui devait le dégrader, forma ou modifia son caractère
; il agit sur son coeur; il créa sa pensée ; il lui donna, sinon le
courage, les vertus et les talens qui font les grands-hommes, du
moins l ’orgue il, l’entêtement et la cruauté qui les rendent dangereux.
Très-empressés de remplir auprès de ses ministres la mission que
nous avions reçue, M- Caraman fut se présenter dans la matinée
du aa de septembre , chez Hadgi-Ibrahim , itimad-ud-dewlet ou
premier ministre, pour lui demander, de notre pa rt, une audience
particulière. Ils peuvent venir, répondît le ministre, quand ils le
jugeront à propos cet après-midi s’ils veulent.
Nous nous rendîmes en conséquence à son palais à deux heures :•
on nous dît qu’il était chez le roi. Néanmoins on nous fit entrer
dans un jardin où il n’y avait point d’arbres, mais seulement du
gazon et des fleurs. Après nous y être promenés cinq ou six minutes,
nous fîmes demander à un des officiers du palais, qui nous,
avait accompagnés, si nous ne pouvions pas attendre le ministre
ailleurs que dans un jardin où il faisait très-chaud : vous êtes, nous
dit l’officier, les maîtres de la maison , et il nous conduisît dans
la salle d’audienee qui se trouvait au fond. Elle était très-vaste*
pen ornée, et tout-à-fait ouverte au nord et au midi, pour donner
passage au vent rafraîchissant. Il y avait au milieu un grand bassin
ov ale, de marbre blanc, et u h jet d’eau qui s’élevait à cinq ou six
pieds. Outre le jardin dont nous venons de parler, on en voyait un
autre an midi, bien plus spacieux. Nous y apperçûmes des allées
droites assez soignées, des fleurs cultivées avec soin, des arbres
symmétriquement plantés : l ’eau y était abondante, et distribuée
de manière à le rendre aussi frais qu’agréable.
Tandis que nous étions à considérer le salon et à promener nos
regards dans le jardin où il ne tenait qu’à nous d’aller, M. Caraman
avait lié la conversation avec quelques officiers du palais. Il avait
voulu savoir si on voyait facilement le ministre, et connaître
quelles étaient les personnes q ui, après lu i, avaient le plus d’influence
dans les affaires : on lui nomma le secrétaire-général (le
myrza bousourch ) , et ensuite un grand seigneur nommé Suley-
man-Khan. A leur tou r , les officiers demandèrent qui nous étions,
d’où nous vénions, et ce que nous voulions au ministre. Ils s’informèrent
surtout si nous lui apportions des présens. Instruits par
3VÎ. Caraman de cette conversation, et préparés d’avance à la demande
des presens , nous leur fîmes dire qu’étant absens de la
France depuis quatre ans, et ayant reçu ordre de nous rendre en
Perse pendant que nous étions dans les États dn grand-seigneur,
nous n’avions pu apporter avec nous aucun objet curieux de notre
patrie, mais que nous y suppléérions en récompensant généreusement
les personnes qui voudraient nous servir avec zèle; et aussitôt
nous leur fîmes compter à cinq qu’ils étaient trente sequins turcs.
Cet argent fit tout l ’efïét que nous devions en attendre dans un
pays ou rién ne résiste à ce métal. Ces officiers nous dirent alors
que nous ne pouvions pas espérer, de voir le ministre avant cinq
heures * parce qu’en rentrant il irait dans le harem, d’bu il ne sortirait
qu’à cette heure pour donner son audience. Us nous offrirent
de 1 attendre dans cette salle, et nous demandèrent la permission
de nous y servir quelques fruits. Nous les remerciâmes de léur
offre , et nous nous retirâmes.
Nous y revînmes à cinq heures : dès que les officiers nous apper-
Çiirent, ils vinrent au devant de nous , et nous firent entrer dans la
salle : nous y trouvâmes quelques personnes qu’on y avait introduites
comme nous. La fo u le , qui était très-considérable,. était
restée dans le premier jardin. L e ministre ne'se fit pas Iong-temS
attendre : lorsqu’il parut, on nous dit qu’il convenait de sortir de
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