lu i , son intérêt l’y invitait : la prudence lui suggéra une autre
idée.
Il pensa qu’il lui serait plus facile d’obtenir des succès contre
Azad,.dont les troupes n’étaient pas, à beaucoup près , si nombreuses
que celles de Mohammed-Hassan. La conquête de l’Ader-
bidjan et du district d’Urmia que cet Afghan occupait, lui aurait
donné, sur le khan du Mazanderan, une très-grande supériorité}
lui aurait permis de se mesurer de nouveau avec lu i, et même de
lui enlever les provinces qu’il possédait.
Conformément à ce plan, il sortit d’Ispahan en avril 1754, avec
environ quarante mille hommes, et se porta sur Casbin, où Azad
était venu s’établir à la fin de l’automne précédent.
Casbin n’est point une ville de guerre : elle n’a ni murailles ni
citadelle} néanmoins Azad avait trouvé le moyen de la fortifier. Il
avait fait creuser des fossés le long des avenues et de tous les lieux
accessibles, et avait placé du canon sur des buttes ou des espèces de
tours faites en terre , qu’il avait élevées de distance en distance.
Kérim ne connaissait pas mieux que ses officiers et tous les guerriers
de l ’Orient, l ’art d’attaquer les places. Casbin, avec ses buttes
et ses fossés, lui parut si difficile à prendre, qu’il fit d’abord quelques
tentatives pour attirer l’ennemi en rase campagne; mais il ne
put en venir à bout. Azad , qui n’avait pas trente mille hommes à
lui opposer, s’obstina à rester dans Casbin. Kérim fit dresser alors
ses batteries, et il commanda diverses attaques contre la ville, qui
furent toujours plus ou moins malheureuses. Il essaya d’y faire
entrer quelques émissaires; ils furent pris et mis à mort : il voulut
intercepter les vivres qu’on y apportait; des sorties faites à propos
en favorisèrent toujours l ’entrée : il envoya des détachemens pour
ravager la campagne ; plusieurs d’entr’eux furent battus. En un
mot, les assiégés n’avaient éprouvé aucune perte bien sensible, et
Kérim avait laissé morts autour de la ville trois ou quatre mille
hommes. Désespérant de réduire cette place avant le retour de la
mauvaise saison , il abandonna pour le moment son entreprise, et
revint passer l ’hiver à Ispahan avec toute son armée.
Honteux de ne pouvoir répondre par des victoires au voeu des
h'abitans et au choix de l ’armée, Kérim fit tous ses efforts, durant
cet hiver , pour soulager les uns du fardeau des impositions, et
pour rendre les autres aussi contens de leur sort, que lès circonstances
le permettaient. Il fit divers réglemens pour faciliter le commerce
intérieur : il tourna un moment tous ses regards vers la justice
, qu’il tâcha de rendre prompte, impartiale et digne du beau'
nom qu’elle porte ; il répara les édifices publics qui avaient souffert
; il appela aux premières fonctions les hommes les plus éclairés
et les plus vertueux ; il v o u lu t, en un m o t , puisqu’il ne pouvait
éblouir par des succès militaires, qu’on n’eût du moins rien â lui
reprocher quant à son administration.
Au retour de la belle saison il reprit son épée, et marcha de
nouveau contre Azàd. Celui-ci avait eu les moyens et le tems dè
faire des levées dans tous'les pays'qui lui étaient soumis. Il avait
pris en outre à sa solde un grand nombre de ces mêmes Lezguis
avec lesquels il avait combattu , quelques années auparavant , le
prince de Géorgie. Son armée, par ce moyen, s’élevait à plus de
quarante mille hommes.
Dès qu’il apprit que son ennemi ¿’avançait, il sortit de Casbin,
et vint l ’attendre près du village de Membéré. Le combat fut très-
sanglant : les dëux armées se battirent avec une égale valeur,_ avec
un égal dévoûment. Celle d’Azad à la fin triompha : Kérim se vit
forcé de prendre la fuite, et de revenir à Ispahan avec les troupes
qu’il put sauver. Azad le poursuivit et le serra de très-près.
Kérim, considérablement affaibli par le nombre de morts qu’il
avait laissés sur le champ de bataille , et encore plus par la désertion
qui a toujours lieu en Perse après une défaite, ne jugea pas à
propos de's’enfermer dans une ville qu’il né pouvait défendre long-'
tems sans exposer les habitans à éprouver les horreurs d’une famine ,
sans s’exposer lui-même à être pris : il en sortit donc presqu’aussi-
tôt qu’il y fut entré, et prit le chemin de Chiras.
Azad le harcela dans cette retraite , et le força quelquefois à se
battre. Il lui tua beaucoup de monde, sans pôuvoir néanmoins
détruire ou dissiper entièrement les. troupes qui lui étaient restées
fidelles.