fort bien le latin. C’est en cette langue que nous nous étions entretenus,
et qu’il nous avait raconté ses aventures.
A ro ch , au sortir de ses études, se rendit à Constantinople pour
y exercer la médecine et la chirurgie. Il y obtint d abord quelques
succès; et il y gagna quelqu’argent; mais ses projets de fortune ne
se réalisant pas assez v ite , il quitta au bout de trois ans cette ville
pour aller en Géorgie. Avant de partir il eut la précaution de se
munir d’un firman du grand-seigneur, qu’il nous montra et qu il
nous dit avoir sauvé avec bien de la peine ; car il se trouvait à Tiflis
avec un de ses frères lorsque Méhémet, en 1795, y entra à la tete
de son armée.
A l’approche des Persans, Héraclius , qui ne se trouvait pas en
état de s’opposer au roi de Perse, sortit de Tiflis avec ses troupes,
et vint occuper les gorges qui sont à l ’occidèntde cette ville. Presque
tous les habitans suivirent leur prince. Les frères A ro ch , qui
croyaient n’avoir rien à craindre des Persans en leur qualité d étrangers,
ne voulurent pas se soumettre à une précaution qui leur paraissait
inutile. Ils ne tardèrent pas à se repentir de leur sécurjte : les
Persans étaient trop avides de pillage pour ne pas s emparer indistinctement
de tout ce qui tombait dans leurs mains ; et dans ces
momens de désordre, d’injustice, de fureur, comment se faire entendre,
et à qui s'adresser ? Le r o i, les généraux et tous les officiers
étaient encore plus avides, encore plus féroces que le soldat. Ne
les vit-on pas mettre le feu aux objets qu’ils ne pouvaient emporter,
et massacrer sans pitié les vieillards, les malades, les petits enfans,
. tous ceux en un mot qui ne pouvaient être emmenés et vendus ?
Dans le désordre affreux qui eut lieu à Tiflis pendant le court
espace de tems que les Persans y restèrent, les frères Aroch durent
se trouver heureux de sauver leurs têtes : ils ne le durent qu aleuE
jeunesse, à leur bonne mine, et.à l’espoir qu’on eut de les bien
vendre. Enfermés avec tous les prisonniers qu’on avait faits , ils se
flattèrent d’abord que, lorsque la fureur du soldat serait assouvie
et que tout serait rentré dans l’ordre, ils pourraient faire entendre
leurs plaintes, et réclamer une justice que les peuples les plus barbares
rendent aux étrangers; ils espéraient , obtenir, avec, leur
liberté, la restitution de leur argent, de leurs effets, de leurs chev
au x, ou recevoir du moins une juste indemnité. Mais, encore une
fois, leur espoir fut trompé ; ils se virent chargés de fers comme tous
les autres prisonniers, et emmenés en Perse pour y être vendus. En
route, ils eurent autant à souffrir de la brutalité du soldat, que
de la mauvaise qualité des alimens qu’on leur donnait , et de la
fatigue qu’ils éprouvèrent dans les marches qu’ils firent toujours à
pied.
L ’aîné ne put y résister. Accablé de douleur de se voir réduit en
esclavage, il ne tarda pas à être attaqué d’une dyssenterie maligne,
qui l’enleva au bout de quelques jours. Auguste prodigua à son
frère tous les secours qui dépendaient de lui. Mais que pouvait-il
faire ? Il demanda des médicamens, ils lui furent refusés ; il demanda
que son frère fût porté en litière, on se moqua de lui; il demanda
un cheval, un chameau, ils étaient employés ; il fallait du repos, et
chaque jour on était en marche. Dans cet état déplorable, les connaissances
du jeune Aroch dans l’art de guérir ne purent que l’avertir
de se tenir en garde pour lui-même, et surtout de ne pas se laisser
abattre par la douleur. Se soumettre donc courageusement à sa
destinée, et attendre des circonstances, de sa raison et de son énergie
quelques changemens à son sort : voilà ce que fit, voilà ce que
dut faire le jeune Aroch.
Cependant on apprit que parmi les prisonniers il venait de mourir
un médecin, et que son frère, médecin lui-même, se disait étrang
e r, et se plaignait vivement, en mauvais turc, qu’on eût violé à
son égard le droit des gens, et qu’on le retînt prisonnier-lorsque
son roi n’avait rien à démêler avec celui de Perse. Il montrait son
firinan, et demandait sans cesse d’être présénté à quelque officier-
général. Suleyman-Klian, un des généraux de Méhémet, ayant eu
connaissance de ces faits, voulu); voir l’étranger, et savoir de lu i-
même s il était Hongrois et médecin, ainsi qu’on le disait. Aroch
montra son firman, et raconta en peu de mots comment il se trouvait
à Tiflis lorsque Méhémet s’en empara. Suleyman ne put l ’entendre
sans être touché de ses maux , et sans desirer vivement de
les faire cesser. Soyez tranquille, lui dit-il; j ’en parlerai au ro i; il