les tems ordinaires, les portes et les fenêtres peuvent rester ouvertes
sans que personne ose s’y introduire furtivement. Ainsi donc nous
avons toujours cru que le curé n’avait pris ce parti que pour se
rendre encore plus recommandable auprès de nous, et obtenir;
lorsque nous partirions, un présent plus considérable.
Ce fut le 14 juin que nous fîmes cette course. Nous nous dirigeâmes,
en partant d’Amadan, au sud-ouest. La plaine que nous
traversâmes, était bien arrosée et toute cultivée. L ’eau qui descendait
de la montagne, était très-abondante et se répandait en divers
canaux. Dans quatre heures, sans quitter nos chevaux, nous pûmes;
par des sentiers très-sinueux et très-scabreux, nous élever jusqu’à
la neige. Nous nous arrêtâmes pour déjeûner sur une pelouse qui
en offrait encore en quelques endroits. Nous y vîmes en fleur, parmi
d’autres plantes, une gentiane, une primevère, une tulipe, qui ne
sont pas connues des botanistes, et une fritillaire qui paraît ne pas
différer de la fritillaire méléagre.
Deux baromètres que nouà avions emportés de P aris, avaient été
cassés, l'un à Constantinople, et l ’autre dans l’île de Crète ; de sorte
que nous n’avons pu savoir au juste à quelle hauteur nous nous
sommes élevés. Mais ce que nous éprouvâmes lorsque nous voulûmes
herboriser, nous surprit au point que nous n’avons cessé
d’en étudier la cause. Nous ne ressentions aucune sorte d ’incommodité
: notre respiration était assez libre, et pourtant nous n’avions
point de forces; nos jambes se refusaient à nous porter ; nous étidns
obligés de nous arrêter de tems en tems pour nous reposer. Assis,
nous étions à notre aise ; nous avions même une sorte de plaisir,
celui qu’éprouvent ceux qui se couchent après une grande fatigue.
Quoique nous fussions presqu’entourés de neige, nous ne trouvâmes
pas l ’air bien froid : il est vrai qu’il n’y avait point de vent,
et que le ciel était très-pur; le soleil fut même assez chaud, surtout
vers le milieu de la journée, que nous descendîmes nn peu.
Nous attribuâmes d’abord à l ’élévation du sol le sentiment de
fatigue que nous éprouvions; mais en y réfléchissant ensuite, nous
avons £té persuadés qu’il dépendait en grande partie d’une autre
cause. Tout le tems qute nous avons resté en Perse, nous nous
sommes
sommes trouvés beaucoup plus faibles qu à notre ordinaire. Bru-
guière crut d’abord que cela venait des chaleurs, de la fatigue et
de toutes les privations auxquelles nous étions exposés. Quant à
moi, j’en accusais seulement les eaux qui nous purgeaient très-souvent,
et qui presque toujours ont dérangé notre estomac. Ce qui
nous a pfouvé ensuite que ce n’étaient point les chaleurs qui nous
incommodaient, c’est que nous le fûmes également lorsqu’elles eu-
rent passé; d’ailleurs, nous nous sommes très-bien portés à Bagdad
et dans le désert de l ’Arabie, où les chaleurs étaient beaucoup plus
fortes qu’en Perse. Nous n’avons pas éprouvé la même faiblesse en
Egypte, en Syrie, dans l ’île de Crète:
Mais ce qui aurait dissipé tous nos doutes s’il nous en fût resté,
et ce qui doit mériter l’attention des voyageurs qui viendront après
n ou s , c’est qu’à notre retour , dans le:mois de décembre , nous
reprîmes presque subitement nos forces dès que nous eûmes descendu
le mont Zagros. En avançant vers Bagdad, la température,
déjà très-froide en Perse, s’adoucissait de jour en jour, et nos digestions
, presque toujours dérangées, chez Bruguière depuis Kermanchah
, et chez moi depuis Téhéran , se firent par la suite très-
bien.
Les Arméniens qui nous avaient suivi au nombre de huit ou d ix,
ne se plaignirent de rien , et nous parurent ausçi agiles, aussi forts
sur la montagne que dans la ville. Quelques-uns étaient venus à
pied.
Nous restâmes vers une des cimes les plus élevées de la montagn
e , depuis neuf jusqu’à onze heures du matin. Nous nous éloignâmes
ensuite des neiges, pour nous porter sur des rochers et vers
des précipices où la végétation était beaucoup plus avancée : nous
y prîmes un grand nombre de plantes; nous en trouvâmes aussi sur
toutes les parties de la montagne que nous parcourûmes en descendant
, mais nous n’apperçûmes rien qui fût digne des éloges que
les Orientaux lui donnent. Des plantes inconnues à l ’Europe en
assez grand nombre ; beaucoup d’arbustes , et surtout des rosiers,
des astragales, des végétaux ligneux, épineux, cotoneux : voilà ce
que nous vîmes ; mais pas un seul arbre, pas un seul arbrisseau ne
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