courir le risque d’être pris ; il fallut se décider à ordonner à ses
troupes d’abandonner de nuit le champ de bataille, et de venir le
joindre, comme elles pourraient, à Tabas, où il allait se rendre
une seconde fois ; il ne prit avec lui qu’un de ses oncles, et ceux
de sa tribu qui ne l ’avaient jamais quitté.
Lorsqu’il fut à quelques journées de Kerman, son oncle, qui le
voyait sans armée et sans argent, qui ne le croyait pas en état de
se soutenir à Tabas , qui craignait d’être enveloppé dans tous les
maux qui allaient pleuvoir sur la tête de ce fugitif, crut pouvoir se
tirer d’embarras, et obtenir même les bonnes grâces de celui qui
en était resté Je seul distributeur, en commettant un de ces crimes
qu’on ne voit que dans les guerres civiles ; il résolut de saisir vivant
son neveu , et de le livrer à Méhémet, afin qu’il en disposât à son
gré. Pour venir à bout de ce dessein, il en lit part à ceux de la
troupe qui lui parurent les plus mécontens de leur so r t, et se les
associa par l’espoir d’une très-grande récompense. Lorsqu’il en eut
gagné un certain nombre, et qu’il se fut bien concerté avec e u x , il
attaqua à leur tête L u tf-A li, tua d’abord son cheval, et parvint à
le charger de chaînes sans que le reste de la troupe osât s’y opposer.
Dans cet état il lui fut facile de l’emmener à Chiras, où il avait jugé
que Méhémet devait se rendre.
Méhémet y était retourné en effet après avoir mis Kerman à
contribution, et y avoir placé une forte garnison : il reçut le présent
qu’on lui fit avec des transports immodérés de jo ie, qui annonçaient
toute la bassesse de son ame , et faisaient voir combien il
avait craint un ennemi si brave et si entreprenant; il ne manqua
pas, comme on l’avait espéré, de récompenser généreusement tous
ceux qui avaient pu se souiller de ce crime ; il accorda à l’oncle de
L utf-Ali toutes les faveurs qu’il lui demanda. Quant à ce malheureux
jeune homme, il se hâta de lui faire arracher les yeux ; il
l'aurait sans doute privé à l ’instant même de la vie s’il n’avait voulu
insulter plus long-tems à ses malheurs, et le faire servir à son
triomphe.
Cet événement mit aux pieds de Méhémet tontes les tribus du
m id i, qui tenaient pour le parti de Lutf-Ali. Toutes les villes
s’empressèrent de reconnaître le vainqueur'pour lieutenant-général
du royaume^; tous les khans lui firent leur soumission, et lui envoyèrent
des présens ; les Arabes de la côte lui payèrent par la
suite, avec exactitude , le tribut accoutumé ; les L ors , les Zends,
les Bakhtiaris, qui avaient toujours été ses ennemis , se décidèrent
aussi à- lui envoyer des députés. Méhémet exigea des otages de
tontes les villes et de toutes lés tribus ; il obligea tous les grands
dont,il pouvait craindre l ’influence, où dont il redoutait l’ambition,
à se rendre à Téhéran ;' il fit des levées d’hommes dans toutes
TeS provinces, pour les incorporer dans sa garde ; il p r it , en un
in o t, toutes les mesures qu’il jugea nécessaires pour s’assurer la
paisible possession de l'Empire. S
En septembre de la même année il se rendit à Téhéran emmenant
avec lui son prisonnier, et l’exposant, partout où il passait,
à l’avide curiosité de. la populace. Il nomma Hadgi-I.braliim son
premier ministre ; il envoya à Chiras son neveu Baba-Khan, fils
de son frère Hussein, et lui donna des troupes afin de Contenir
toutes les provinces du midi. Lutf-Ali fut mis à mort dans le courant
de l’hiver 1794, avec tous ceux de ses parens qui se trouvaient
enfermés avec lui.
Ainsi pé rit, à la fleur de son â g e , ce malheureux prince dont la
Perse déplore les malheurs, dont elle regrettera encore long-tems
la perte. Il eût sans doute détruit le féroce Méhémet et pris, son
rang parmi les grands-hommes, c’est-à-dire, parmi les bienfaiteurs
du genre humain si Djaflàr eût vécu quelques-annéeS de^ plus, et
surtout s’il n’eût pas, par sa timidité envers son ennemi,-et>ses
injustices envers les grands, préparé les malheurs de soh fils, et
par-là prolongé les troubles de la Perse;