peu à peu , et qui ne le prennent que comme cordial et fortifiant,
est d’une pilule du poids de deux grains. Quelques-uns en prennent
un peu plus'sans qu’ils en soient incommodés ; mais il est rare qu’ils
aillent impunément jusqu’à quatre : la maigreur qui s’ensuit, les
douleurs dans les membres, l ’abattement, le découragement, qui
en sont le résultat ; la tristesse, la mélancolie dans lesquelles ils sont
plongés lorsque l ’effet du remède est passé, les avertissent qü ils
ont pris une dosé trop forte.
Dans lès cafés dont j’ai pa r lé , l’opium est pur ou préparé avec
diverses substances : on le distribue à ceux qui se présentent, suivant
leur goût et à la dose q u’ils veulent : on y fait aussi, avec des
têtes de pavot bouillies dans de l’eau, auxquelles on ajoute un peu
de safran et diverses essences, Une liqueur peu enivrante dont les
plus sages se contentent, et dont ils ne preniîent que la dose qui
leur convient, pour se procurer, pendant quelques heures, des
visions agréables ou un délire joyeux.
Les têtes de pavot qu’on destine à cet usage, n’ont pas été incisées :
elles sont cueillies avant leur parfaite maturité ; elles contiennent
par conséquent une certaine quantité d’opium. Celles d’Europe ,
dont on fait usage en médecine, ne sauraient leur être comparées :
outre qu’on les cueille plus tard afin de tirer parti des semences, le
suc propre qu’elles renferment, n’est pas assez élaboré dans nos
climats, pour fournir un opium pareil à celui de l’Orient.
On a souvent distribué, dans ces mêmes cafés, un breuvage
beaucoup plus fo r t, beaucoup plus enivrant : il était fait avec les
feuilles et les sommités du chanvre ordinaire, auxquelles on ajoutait
un peu de noix vomique. La loi qui permet ou tolère les autres
breuvages, a toujours défendu celui-ci. Méhémet-Khan:, lorsque
nous étions en Perse, punissait du dernier supplice ceux qui le
distribuaient et ceux qui le prenaient.
En général, les hommes instruits, les personnes qui ont reçu
une éducation soignée, celles d’un rang élevé, usent de 1’opium
aussi sobrement que nous usons du vin en Europe; ils se contentent
, comme nous l’avons d it, d’une dose qui ne peut leur faire
aucun mal. ,
Le gouvernement a fait défendre l’opium et les breuvages narcotiques
toutes les fois qu’il a cru que le peuple s’y livrait avec excès,
et il a invité les mollas, les imans, les derviches à prêcher contre
cet usage. Il aurait employé sans doute un moyen bien plus simple,
•bien plus prompt, bien plus efficace en faisant substituer le vin à
toutes ces drogues. L ’effet du vin est passager, à moins qu’on ne
s’enivre habituellement ; au lieu que l’opium, le chanvre, la noix
vomique et toutes les substances stupéfiantes, même à petite dose,
rendent l’homme promptement hébété, le maigrissent considérablement,
lui occasionnent des douleurs habituelles, et finissent par le
conduire au tombeau.
Le gouvernement serait parvenu facilement à faire adopter l ’usage
du vin par toutes les classes des citoyens, pour peu qu’il eût continué
à en donner l’exemple, ainsi qu’il le faisait sous les derniers
Sophis, et qu’il eût empêché que les mollas n’en fissent mention
lorsqu’ils prêchaient, par leur ordre, contre l’opium et leé liqueurs
enivrantes. Les Persans ont toujours été bien plus disposés que les
Turcs, à enfreindre à cet égard la loi de leur prophète; et même
la plupart d’entr’eux sont bien persuadés que Mahomet a moins eu
l ’intention de défendre absolument le v in , que d’empêcher les désordres
et les crimes qu’il peut faire commettre lorsqu’il est pris
avec excès.
L ’usage du vin serait bientôt devenu général s’il avait été permis
à un chacun d’en faire : jusqu’à présent ce droit a été acheté annuellement
par les Arméniens, les Juifs et les Guêbres, et il ne leur a
été accordé qu’en raison de leur nombre et de leurs besoins. Il est
vrai qu’au moyen de quelques présens qu’ils faisaient aux gouverneurs
et aux officiers chargés d’y veiller, ils avaient toujours pu en
faire une quantité beaucoup plus considérable, dont ils disposaient
en faveur des sectateurs de Mahomet.
Déjà, sous les Sophis, les seigneurs et les riches particuliers qui
avaient des vignes ou qui achetaient des raisins, faisaient faire secrètement
du v in , et ils le pouvaient d’autant plus aisément, qu’ils
avaient la faculté de faire transporter du raisin chez eux en grande
quantité, sous prétexte de le garder en nature pour le manger durant