pas à propos d’exposer, durant la n uit, ses troupes dans les rues
dune ville immense qu’elles ne connaissaient pas, et qu’elles ne
pouvaient parcourir alors sans beaucoup de danger ; il leur ordonna
pourtant de se tenir prêtes à agir au premier signal.
Des que le jour pa ru t, il alla à la mosquée avec toute sa garde'
et tous ses ofïiciers-géneraux ; il s’y lit rendre compte de ce qui
s était passé la veille , et voulut connaître dans tous ses détails le
motif de la révolte des Indiens. Lorsqu’il eut appris qu’un -grand
nombre de gens armes s’etaient portés à la citadelle pour s’en emparer
, et qu ils avaient tué quelques soldats persans qui s’étaient
trouvés sous leurs pas, il entra en fureur , et jura de raser la ville
-et d’en exterminer les habitans. « Innocens et coupables , dit-il , il
» faut que tous périssent : allez, et parcourez tous les quartiers ;
» massacrez indistinctement tous les Indiens ; mettez le feu partout ;
» n épargnez pas même les temples : je permets à chacun de garder
» le butin qu’il fera. »
En un instant 1 armée entière , excitée à la vengeance par les
chefs, et poussée au pillage par sa propre cupidité, se répandit
dans les rues : elle n’y rencontra aucun ennemi ; elle n’y vit pas
un homme qui fut armé. Les séditieux avaient pris l’épouvante ,
et s, étaient enfuis avant même que les Persans eussent tiré le sabre.
Ainsi donc les premières personnes que le glaive atteignit, ce furent
des marchands qui ouvraient leurs boutiques, des cultivateurs qui
apportaient des subsistances à la v ille , des ouvriers qui allaient à
leurs travaux, quelques vieillards qui se rendaient aux temples dans
l ’intention d’adorer l’Éternel.
Les rues furent bientôt désertes et leç maisons baricadées. On se
flatta que la vengeance des Persans se bornerait à ces premiers massacres,
ou que du moins ils respecteraient l ’asyle des liabitans. Vain
espoir ! Le sang devait couler encore : l’ordre en ¿tait donné. Il
fallait de 1 or au soldat, et Nadir avait permis d’en prendre. Ainsi,
dès que ces forcenés ne virent plus personne dans les rues, ils enfoncèrent
les portes des maisons , y entrèrent en foule , massacrèrent
les habitans et pillèrent leurs effets. Ils n’épargnèrent, dans
leur rage, ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfàns. Deux cent
mille personnes , ce jo u r -là , perdirent la vie dans Delhi (1); et si
les Persans n’avaient été arrêtés par lè pillage des boutiques , par
les objets qu’ils voulaient èmporter, par, les efforts qu’ils firent
pour démolir les palais et lés maisons des ricliès, où ils espéraient
trouver des trés'ors cachés, aucun habitant n’eût échappé au fer
des assassins. La nuit s’approchait, et le massacre durait encore, et
le soldat s’acharnait sur sa proie : son bras le servait avec peine;
ses armes étaient émoussées, et la soif du sang m'était pas étanchée.
Il avait égorgé, tonte une journée , des hommes qui ne se
défendaient pa s, des vieillards q u is e prosternaient à ses pieds ,
des femmes qui embrassaient ses genoux ; il avait été insensible,
toute une journée, aux einbrassemens des jeunes époux que le
glaive ne pouvait séparer ; il n’avait pu êtré attendri en voyant
sans cesse des mères éplorées s’efforçant de dérober au fer les enfans
qu’elles avaient portés dans leur sein. Toute une journée, il avait
entendu les gémissemens des malheureux, les cris des blessés, les
Sanglots des mourans , et son coeur, à la fin du jou r , se fermait
encore à la pitié.
A N adir, de son côté, l ’implacablé Nadir avait contemplé, du matin
au-soir, la flamme qui dévor.ait les maisons , les palais et les
templeà, sans ordonner de l’éteindre. Il savait que le sang ruisselait
dé toutes parts, sans être porté à l’arrêter; il n ’ignorait pas
que le soldat se livrait à tous les excès, à tous les crimes imaginables;
il en était satisfait. Le soir, lorsque’le visir et le vékil-mutlak
furent, de la part de l’empereur, se jeter à ses pieds pour le supplier
de faire cesser le massacre des habitans et l’incendie d.e leurs
maisons, il donnait des ordres pour qu’on se portât dans les quartiers
les plus reculés. Ces deux ministres eurent de la peine à calmer
ce furieux, et ce ne fut que sur l ’observation qu’ils lui firent,
que les flammes allaient dévorer ou engloutir tous les trésors de la
ville , qu’il se détermina à rappeler ses troupes.
(1) Il périt, selon Otlier, deux cent vingt mille habitans. Voyage en Turquie et
en Perse, tom. I , pag. 395 Le chantre de Nadir n’eu fait monter le nombre qu’à
trente mille. Histoire de N adir, traduite du persan , 2'*. partie, pag. 78.