èspace f'Cit bien grand : la classe pauvre des villes diffère très-peu,
pour l ’esprit, les connaissances et les moeurs, de l’habitant des campagnes
, et il n’y a pas non plus une grande différence, dans les
villes, entre les riches et les pauvres. C’est presque partout la même
conduite, la même allure, la même manière de s’exprimer ; ce sont
les mêmes idées, et j’oserais presque dire la même instruction. Ici
l ’habitant des campagnes, celui-là même qui se trouve toute 1 annee
sous la tente, et qui conduit ses troupeaux d’un pâturage à un
autre , nous a paru plus délié, plus rusé, plus po li, plus instruit
que le cultivateur européen un peu éloigné des grandes villes.
J’avais d’abord cru que le défaut général d’instruction, une éducation
à peu près semblable, et la tyrannie qui pèse également sur
tous, était la seule cause de cette conformité de ton, d’allure, de
connaissances que j’avais remarquée partout où j’avais passé; mais
je ne tardai pas à reconnaître une cause plus puissante. Je jugeai
que les guerres fréquentes qui ont árme tous les Persans, les troubles
civils qui les ont sans cesse agités, les excursions presque continuelles
de province à province, auxquelles presque tous ont pris
part, avaient nécessairement amené une manière d’être différente,
avaient rapproché tous les états et avaient très-souvent confondu
tous les rangs. Le riche est devenu par-là moins instruit ; le pauvre
l ’a été davantage. Le premier a perdu de son urbanité, de sa-douceur
, de ses manières aisées ; le second s’est poli : ses idées se sont
développées ; ses conceptions-se sont agrandies. Caressé de se^ chefs,
infiniment utile à ceux qui voulaient s’emparer du pouvoir, il a eu
plus d’estime de lui-même, et bien moins de vénération et dk respect
pour ceux qu’il voyait de très-près. Le riche, elevé dans des
camps, ne pouvait avoir que l ’instruction d un soldat; le pauvre,
qui passait alternativement de la charrue ou de l ’atelier dans le
camp, en savait bientôt autant que le riche. D’ailleurs, le champ
des honneurs et de la fortune lui était ouvert : cela seul devait
produire, dans ses idées, dans sa conduite, un changement favorable.
Il n’en est pas de même des femmes : celles des villes, à ce qu on
nous a dit, car nous en avons vu très-peu, si ce n’est à Bagdad,
Ont toute la finesse d’esprit, toute l ’amabilité, toutes les grâces de
leur sexe, et peut-être autant d’instruction que les hommes à qui
elles appartiennent. Quant à celles de la campagne, que la médecine
nous a fourni l’occasion de voir ou d’entendre, elles nous ont paru
très-grossièreS, très-ignorantes, et beaucoup plus esclaves des préjugés
, que leurs maris.
' Elles se voilent avec autant d’attention qu’à la ville, et elles vivent
éncore plus retirées ; elles font tout le travail de la maison, ont soin
de leurs enfàns, font la cuisine, traient les vaches, les chèvres, les
brebis ; préparent le laitage, en font du iougourt ou du beurre que
les hommes -vont vendre à la ville. Elles filent du coton ou de la
laine au rouet dans les momens de loisir; elles préparent avec les
excrémens des animaux et la paille hachée , des gâteaux qu’elles
font sécher au soleil, et qui sont destinés à brûler, attendu que le
bois est excessivement rare ; elles ne vont pas aux champs, le travail
de la campagne étant réservé aux maris.
Les habitans des vil! âges n’ont ordinairement qu’une seule épouse,
quoique la loi leur en permette jusqu’à quatre, comme aux Turcs,
et ils ne vivent presque jamais avec des esclaves, à moins qu’ils ne
soient veufs ou qu’ils ne soient pas encore mariés.. Ils nous ont tous
paru approuver nos lois relatives au mariage, et ils ont été unanimement
d’avis que la polygamie, utile seulement à l’égard des
hommes opulens, ne pouvait en aucune manière convenir à ceux
dont la fortune était bornée, à ceux entr’autres qui desiraient avoir
la paix dans leur ménage.
Mais s’ils approuvent que nous ne puissions avoir qu’une seule
épouse, ils sont bien scandalisés quand on leur dit que cette épouse,
qui est en tout notre é g a le , se montre hors de sa maison à visage
découvert, et se trouve sans inconvénient tête à tête avec d’autres
hommes. Ils traitent les leurs, sinon avec mépris, du moins avec
très-peu d’égards ; et, qu’ils en soient amoureux ou n o n , ils en sont
très-jaloux. La moindre démarche suspecte met le mari en colère
et le porte à maltraiter sa femme ; il la bat au moindre sujet de
mécontentement qu’elle lui donne ; il la répudie s’il a le moindre
soupçon d’infidélité ; il la poignarde s’il en est convaincu ; et s’il