C H A P I T R E IV.
Entrevue avec le gouverneur. Départ pour Tegrich. Description
de ce village. Réflexions sur la médecine des
Persans. Moeurs des habitons.
L a -santé de notre drogman s’étant heureusement rétablie au bout
de quelques jours, nous lui recommandâmes d’agir auprès du gouverneur
, afin d’obtenir la permission de sortir de la ville.
Nous n’entrerons pas dans le détail de toutes les difficultés que
nous eûmes à surmonter, de tous les retards qu’il fallut éprouver,
de tous les petits sacrifices qu’il fallut faire; nous dirons seulement
que, fatigués de tant de lenteur, nous priâmes, le a9 juillet au
matin, M. Caraman d’aller demander au gouverneur une audience
pour nous. M. Caraman se prêta à nos désirs, èt l’audience nous
fut accordée pour le soir même.
Rendus au palais à l’heure indiquée , nous filmes aussitôt introduits.
Le gouverneur nous attendait dans un très-beau pavillon ,
Situé sur un jardin fort Spacieux’et três'-soigné. Nous ne l’eûmes
pas plutôt salué, qu’il nous invita à nous asseoir à côté de lui sur le
même sopha. Après noüs être faits les complimens d’usage et avoir
dit un mot du motif de notre vo yag e, nous lui demandâmes s’il
croyait recevoir bientôt une réponse A la note que nous lui avions
fait remettre : il nous dit que le roi ayant fait son entree a JVles-
ched et soumis tout le Khorassan, il esperait qu il serait de retour
à Téhéran avant la fin de l ’éte, avec toute sa cour, à moins qu à.
l ’exemple de Nadir-Chah, ajouta-t-il en élevant la voix et tournant
la tête du côté de ses officiers, présens à notre conversation, il ne
pousse ses conquêtes jusque dans l’Inde ; ce que le peuple et l ’armée
ne'peuvent manquer de desirer, puisqu’il en résulterait des richesses
immenses pour l ’un, et une très-grande gloire pour l’autre.
Nous dûmes avoir l’air d’applaudir à l’idée d’aller piller les
paisibles Indiens, et cueillir chez eux de faciles lauriers ; cependant
nous observâmes qu’il était à craindre, dans les circonstances
actuelles, que les Russes ne profitassent de l’absence du roi pour
envahir les provinces situées à l ’occident de la mer Caspienne. Le,
gouverneur, affectant alors un air de mépris, dit que les Russes se
garderaient bien de mettre le pied sur le territoire persan,; car ils
ne pouvaient avoir oublié q u e , sous Nadir-Chah, tous ceux qui
osèrent y entrer, y périrent, sans qu’il pût s’en sauver un seul. Nous
demandâmes alors s’ils ne s’étalent pas présentés devant Derbent :
le gouverneur, en baissant la vo ix , nous avoua qu’ils avaient pris
cette ville.
Nonobstant cet aveu, il continua de faire l’éloge de son maître ,
et de nous parler dés Russes d’une manière peu convenable. Mé-
hémet , selon lu i, avait la sagesse et les vertus de Chah-Ysmaël,
les grandes vues et les vastes connaissances de Chah-Abbas, les
talens militaires et la bravoure de Nadir-Chah : il était le plus
grand, le plus juste , le plus bienfaisant dp tous les rois ; il a v a it,
par la force de son génie et la vigueur. de son bra s, dissipé, ou
détruit les ennemis formidables qui avaient osé disputer un trône
que lui, seul était digne d’occuper ; il avait soumis les Turcomans
et jes Ouzbeqs , puni lés Le.zguis, humilié les Géorgiens, fait tremt
hier les .chefs de toutes Jes tribus : comment pouvait-il craindre les
soldats d’une nation qui se laissait gouverner par une femme ?
Nous ne répéterons pas toutes les. sottises qu’il nous débita sur
le compte du ro i, toutes les impertinences qu’il se permit à l ’égard
des Russes, toutes les questions ridicules qu’il nous fit sur la T u r quie
et les divers Etats, de l’Europe, questions qui annonçaient
l ’ignorance la plus profonde et les préjugés,les plus enracinés. N ous
passâmes plus d’une heure avec lui. Avant de nous retirer, nous
lui témoignâmes, le désir d’aller rétablir notre santé à la campagne ,
et nous, lui demandâmes un officier pour nous y conduire et nous
y faire; trouver uru logement. ■
Le gouverneur parut,Surpris de-nôtre demande. Il s’établit alors
entre lui et le drogman une conversation de quelques minutés, dont
nous n’eûmes pas connaissance ; mais elle confirma les soupçons