que lui au plaisir de nous désaltérer, j’avais conservé jusqu’alors
toutes mes forces, et je me croyais en état de soutenir de plus rudes
épreuves.
En recevant notre n o te , le gouverneur donna, en présence de
M. Caraman, l’ordre à un juge , dont le tribunal était voisin de
notre caravanserai, de chercher une maison vaste et commode où
nous pussions nous loger sur-le-champ. Il ordonna aussi à un de
ses officiers, qu’il nous fût fourni, pour nous et pour nos chevaux,
tous les vivres dont nous aurions besoin. Ces étrangers , ajouta-t-
il , sont les hôtes du roi ; il faut qu'ils soient traités d’une manière
convenable et digne du plus grand des souverains. Puis s’adressant
àM. Caraman, il lui dit : Ces Français, envoyés par leur gouvernement
à la cour de Méhémet pour y traiter d’affaires importantes,
ont sans doute apporté de leur patrie qtielqùès objets rares et curieux
qu’ils se proposent d’offrir.
M. Caraman ayant répondu, ainsi que nous le lui avions recommandé,
qu’il ne croyait pas que nous eussions pour le moment rien
de précieux à offrir, quoi ! dit le gouverneur , est-ce qu’il n’y a plus ,
dans le pays des Francs, des diamans, des montres, des bijoux, des
gallons, des draps, des étoffes de soie? M. Caraman répondit que ces
objets s’y trouvaient comme autrefois, mais que, ne venant pas
directement de la France, nous n’avions pu les apporter avec nous :
il ajouta qu’ils nous seraient probablement envoyés lorsqu’il en
serait tems.
A u retour du drogman, nous vîmes bien que le gouverneur désirait
un présent de notre part, ainsi qu’il est d’usage toutes les fois
que l’on s’adresse aux grands, et qu’on a surtout quelque grâce à
leur demander. Nous aurions bien pu annoncer ceux que nous avions
laissés en arrière, mais alors nous courions le risque d’être taxés
d’imposteurs si la boîte que nous attendions était volée en route ,
ou si elle était arrêtée àBagdad, ainsi que cela arriva. Nous aurions
pu aussi offrir au gouverneur une montre et quelques armes : nous
fûmes même un instant sur le point de prendre ce parti : le drogman
nous y invitait ; cependant, après y avoir bien réfléchi, nous n’en
fîmes r ien , par la raison que nous contractions alors l’engagement
de faire d’au très présens,’ et si ceux que nous attendions n’arrivaient
p a s , nous nous exposions à être mal reçus du premier'ministre,
parce que nous n’avions rien d’assez .beau à lui offrir. Nous résolûmes
donc de ne plus parler de logement, et de ne rien recevoir
de personne que nous ne fussions sûrs qu’on nous eût expédié de
Bagdad la boîte qui nous avait été annoncée.
Nous laissâmes, cependant agir le juge : il montra plusieurs maisons
à M. Caraman, mais aucune n’était en état de nous recevoir.
Aux unes il manquait les portes et les fenêtres, aux autres une partie
des murs était sur le point de s’écrouler ; quelques-unes se trouvèrent
si petites, si vieilles, si mal-propres, qu’on aurait dû juger,
au premier coup-d’oeil, qu’elles ne pouvaient nous convenir. Il nous
parut, d’après cela, bien évident que le juge voulait aussi son présent.
Dùnnez-lui quinze piastres, dîmes-nous à M. Caraman; promettez
lui-en vingt-cinq pour le jour où nous entrerons dans la
maison qu’il noua aura procurée, et offrez-lui d’en payer le loyer
au prix qu’il y mettra lui-même.
Le juge, aussi satisfait de nos promesses que de l’à-compte qu’il
venait de toucher, promit bien que le lendemain même nous aurions
une des plus belles maisons de la ville, et sur-le-champ fi
nous quitta d’un air à nous faire comprendre qu’il comptait avoir
bientôt en poche les vingt-cinq piastres que nous venions de lui
promettre.
Le même jourM. Caraman tomba malade, et le lendemain le juge
ne parut point. M. Caraman fut attaqué subitement d’une fièvre
très-forte ; i l se plaignait d’un mal de tête violent, et de douleurs
aiguës aux reins, aux épaules et dans les membres.
Incertains si la maladie du drogman aurait des suites, et pressés
de sortir du caravanserai où nous étions trop étroitement logés et
où nous éprouvions des chaleurs insupportables, nous nous décidâmes
à envoyer un domestique chez un médecin hongrois établi
à T éhéran, pour le prier de passer chez nous dès que ses occupations
le lui permettraient. Il se nommait Auguste Aroch ; il était
venu nous voir plusieurs fois, et nous avait offert avec instances
ses bons offices. Il parlait assez bien le turc et le persan, et il savait
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