livres de riz que chacun avait ordre de porter : l’herbe des champs
devait suffire aux chevaux lorsque l’orge leur manquerait.
Cette entreprise , toute hardie qu’elle était, eût réussi sans doute,
car Lutf-Ali avait des amis à Ispahan, et Méhémet n’y avait laisse
que douze on quinze mille hommes pour sa défense. Malheureusement
un froid très-vif qui survint tout à coup le second j o u r , et
qui incommoda beaucoup l’année , porta les officiers-généraux a
se rendre tons ensemble chez leur chef, pour le conjurer de remettre
cette entreprise à Un autre tems, et d’attendre surtout qu’ils eussent
des forces assez considérables pour leur assurer un succès plus certain.
Lutf-Ali céda à leurs instances ; et rentra à Chiras avec la résolution
de ne rien négliger pour se procurer une armée aussi nombreuse
que celle de son ennemi ; il en avait bien les moyens, puisque
tout le midi, depuis le Schat-el-Arab jusqu’aux confins du Kerman
et du Laaristan, lui était soumis, et que Yesd, qui avait toujours
été rebelle à son père, venait de lui envoyer des députés chargés
de lui. faire agréer sa soumission.
Rentré à Chiras, il profita des momens de repos que l ’hiver lui
laissait, pour se faire rendre compte de tous les détails d’administration.
Son but étant de mettre de l’ordre dans les finances., de
ranimer, par de bons réglemens, l’industrie et le commerce, et de
remédier, par des encouragemens et des récompenses, aux maux
que les troubles civils avaient faits à l’agriculture. La petite vérole
le surprit au milieu de ses travaux, mais ne les ralentit pas. Quoi-
•qu’elle n’annonçât aucun danger, le peuple lui donna, à cette occa-
•sioûq lçs témoignages les plus éclatans de son estime et de son affection
j ; et ces témoignages dûrent le flatter d’autant plus , qu’ils ne
fùrënt provoqués ni par lui ni par aucune des autorités de la ville.
Le printems suivant, 1790, Méhémet vint à Ispahan , ainsi qu’il
avait coutume de faire chaque année. Il n ’entreprit rien contre d u ra
s , Ot Lutf-Ali continua de gouverner paisiblement le midi. Le
premier., toujours inquiet, toujours soupçonneux'et méfiant, fit
•rappeler auprès de lu i, "vers la fin de l ’é té, son frère Djaffar-Kouli,
qui l’avait quitté dans un moment d’humeur et de dépit, pour se
rendre dans le Mazanderan; Djafïar refusa d’obéir; il se plaignit
amèrement de Méhémet, lui reprocha de n’avoir jamais rien fait
.pour ses frères, d’avoir toujours manqué de parole à leur égard ;
d’avoir même obligé, par ses injustices, par ses persécutions, Mor-
teza à se réfugier chez.les Russes, Riza-Kouli chez les Ouzbeqs;
d’avoir fait crever les yeux à Moustapha, au lieu de lui donner le
gouvernement .d’Ispahan qu’il lui avait solennellement promis,
a Que veut-il faire de moi ? ajouta-t-il. Vent-il tenir les engagemens
» qu’il a p r is , ou véut-il me traiter comme" Moustapha? Veut-il'
» m’envoyer à Càsbin, ou m’arracher les yeux? Quand cessera-t-il
» de voir un ennemi dans chacun de ses frères ? Il a oublié que san$>
» eux il ne se fût jamais fait un parti dans sa tribu ; sans leur se-
33 cours, il n’eût jamais acquis ce degré de puissance auquel il est?
33 parvenu. Mais qu’il craigne d’en descendre ; qu’il craigne de se
» voir enlever de force ce qu’il lui eût été si avantageux de me
33 concéder de bonne grâce. 33
Méhémet craignit effectivement que Djaffar-Kouli ne Soulevât le
Mazanderan, et ne lui enlevât cette province : il connaissait sa
bravoure; il savait qu’il était aimé de sa tribu et de tous les gens de
guerre ; il n’eut donc rien de plus pressé, au retour des émissaires
qu’il avait envoyés auprès de lu i, de s’y rendre lui-même. Il prit le
prétexte d’une chasse qu’il avait coutume de faire chaque année
sur les monts Caspiens, pour s’approcher de Bostan, forteresse où
Djaffar s’était retiré, et pour aller s’y présenter sans suite, et aveo
la confiance d’un homme qui n’a aucun reproche à se fa ire , ou;
qui desire bien sincèrement de réparer ses torts.
Djaffar , en le vo yant, l ’accabla de reproches ; il Ini rappela'
toutes ses perfidies, et parut surtout fort sensible aux malheurs'
de Moustapha. Le rusé Méhémet n’opposa rien aux reproches de
son frère ; mais il se montra d’abord si repentant, il employa ensuite
si à propos les caresses, il eut recours avée tant d’art aux louanges,
il le supplia, avec tant d’instances, de venir prendre le commandement
d’Ispahan-, attendu que personne n’était mieux en état que
lui de défendre cette, ville contre toutes les entreprises de LutfiAli,'
qu’il ieealma, et l’engagea même à le suivre à Téhéran.
L ’honnête homme est confiant : incapable de méditer un brime,
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