et des pipes, tous les assistans se retirèrent, et il fut question alors
de donner son avis sur une maladie vénérienne que ce Curde avait
depuis son adolescence. Bruguière prescrivit ce qu’il crut convenir
au malade, après quoi il se retira. Demi-heure après on vint nous
o ffr ir , de la part de ce seigneur, deux agneaux et quelques fruits.
Nous répondîmes à cette politesse par quelques livres de sucre et
dè café qui nous restaient.
Le i 3 , nous nous rendîmes dans sept heures àCheraaban, e t le i4 ,
dans d ix , à Bakouba. On semait partout le froment au moyen d’une
charrue semblable à l ’araire de Provence ; elle était attelée de deux
boeufs.
Le i 5 , nous partîmes, à la pointe du jour, de Bakouba, avec un
brouillard fort épais et fort humide, qui se dissipa peu à peu au
lever du soleil. Nous passâmes la Diala sur un bateau, et nous
"vînmes, dans six heures, nous reposer à un caravanserai nommé
Orta-Kan : nous en partîmes à une heure- après minuit, et vers
les sept heures du matin nous entrâmes dans Bagdad.
Nous n’avions pas l ’intention de faire un long séjour dans cette
ville : nos affections nous entraînaient vers notre patrie ; nos familles,
nos amis, nous réclamaient; notre intérêt nous prescrivait
de nous rendre promptement en France ; le devoir nous appelait à
Paris. Comment résister à de si puissans motifs ?
Nous avions bien assez v u , pour notre instruction, des contrées
qui ne sont belles que dans le passé, qui ne donnent pas grand
espoir de bonheur pour l ’avenir, et qui montrent, pour le présent,
l ’espèce humaine sous le jour le plus défavorable.
Nous avions eu assez long-tems devant les yeux les T u r c s , les
Arabes, les Persans, et les peuples opprimés qui végètent honteusement
parmi eux. .s
Nous avions bien assez observé jusqu’à quel point l ’homme peu,
instruit, peu accoutumé à réfléchir, abuse de tout lorsque la naissance
ou une heureuse audace lui a mis en main le pouvoir. Il était
teins de nous éloigner d’un pays d’orages et de tourmentes, et de
jouir enfin du repos qui était devenu absolument nécessaire à l ’un
de nous. .......
Les
Les maux que l’homme sensible éprouve à chaque pas en parcourant
des contrées où la tyrannie corrompt tout ce qui l ’environne,
où le fanatisme aigiiise sans cesse ses poignards, où la force
n’agit que pour détruire, et la crainte que pour enfouir ou laisser
perdre ; ces maux, dis-je, ne peuvent pas être appréciés par ceux
qui n’ont vu que l ’Europe, ou qui n’ont voyagé que dans les climats
où la force cède assez ordinairement à la raison.
Et ces maux que l ’ame éprouve, le corps les partage bien aussi.
Comment ne pas souffrir en voyageant dans un pays où l ’on n’a
pour gîte que la tente ou une chambre sans cheminée et sans aucune
sorte de meubles, pour lit qu’un tapis ou un mince matelas
posé à terre, pour nourriture que des fruits ou des mets grossiers
et mal apprêtés ! un pays où l ’on ne trouve souvent rien à manger,
et où l ’on est obligé , après une longue course , de faire soi-même
la cuisine ! où l ’on n’a d’autres serviteurs que ceux que l ’on-mène
avec so i, et d’antres secours, en cas d’accident ou dé maladie, que
ceux qu’on se donne soi-même ou qu’on peut espérer d’un ami qui
partage nos périls !
• Nous ne manquions pas de moyens de continuer notre route.
Nous pouvions revenir, comme nous étionsjillés, par Kerkouk,
Mossul, Nisibis et Alep , ou nous rendre directement à Constanti-
nople par Mossnl, Geziréh et Diarbequir ; nous pouvions nous
joindre aussi à une caravane d’Arabes, et traverser avec eux le
désert du nord de l ’Arabie.
Il part chaque année de Bagdad une caravane pour A lep , et une
pour Damas : quelquefois il en part deux pour Alep. Elles ont lien
durant l’hiver ou au commencement du printems.
Il part en outre chaque année de Bassora, une caravane formée
d’Arabes de la tribu de Neldj ; ils ont depuis trois jusqu’à cinq mille
chameaux : mille ou quinze cents seulement sont chargés de marchandises
prises à Bassora et à Bagdad. Ces Arabes' remontent la
rivé droite de l’Euphrate jusqu’à Hellé, d’où ils envoient prendre
lès marchandises de Bagdad ; de Hellé ils se rendent à Alep par le
petit désert de l’Arabie. Ils vendent leurs chameaux dans cette dernière
ville , ne réservant que ce qui leur est absolument nécessaire
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