Mais sa vengeance ne se borna pas là : tons ceux q u i, dans ~ce
tumulte, furent accusés d’avoir tué un Persan, ou soupçonnés
d avoir ameuté le peuple, eurent la tête tranchée. Il pé rit, par ce
supplice, plus de quatre cent soixante-dix Indiens, parmi lesquels
il y avait deux seigneurs distingués et le chef des huissiers de l ’empereur
(1).
‘Cependant Mohammed était livré aux plus vives inquiétudes.: il
a va it, au sein de ses États une armée ennemie ; il était le prisonnier
d ’un homme dont les prétentions pouvaient être sans bornes,
d. un homme qui pouvait avoir l’ambition- d’usurper ce nouveau
trône. La vengeance terrible que Nadir venait M’exercer à l’égard
de ses sujets pour un soulèvement dont on pouvait l ’accuser d’être
l ’auteur, Juî faisait craindre pour sa vie. Les exécutions qui eurent
•lieu les jours suivans, augmentèrent ses alarmes : sa frayeur fut au
point qu’il croyait voir à chaque instant autour de lui des bourreaux
envoyés par son ennemi.
Un roi qui craint la mort, est prêt à sacrifier son devoir, son
honneur et sa gloire; il n’hésitera pas à se couvrir d’opprobres s’il
■croit, par eu moyen, prolonger quelque tems son existence. Mohammed
, le plus faible des rois , le plus mal conseillé , le moins
en état de se conduire d ’après sa propre impulsion, se crut'heureux
lorsqu’il apprit que son ennemi n’en, voulait ni à sa vie n i à
sa couronne. Quelque dures , quelque humiliantes que fussent les
conditions qu’on lui imposa, il y souscrivit avec joie; il signa avec
transport tous les ordres qu’on exigea de lu i , toutes les cessions
qu’il fallut faire.
Il permit donc que ses sujets fussent tous dépouillés , que ses trésors
fussent tous enlevés, que toutes les caisses fussent vidées, et
que l’on se portât, afin de satisfaire la cupidité des chefs de l’armée
et du simple soldat , à toutes les violences imaginables.-Menaces,
tortures, supplices, rien ne fut épargné pour forcer les seigneurs
et les riches particuliers de l’Empire à donner tout l ’or qu’ils possédaient.
(i) Histoire de N adir, a*, partie, pag. 79. —-Other, Voyage, toin. I , pas. 397.
:* Mais ce né fut pas tout. Mohammed-Chah se v it contraint à
u n ir , par les liens du mariage, une' de ses filles avec Nasralla-
Mirza , second fils de N ad ir , et à lui céder en toute propriété les
provinces situées à l’occident de l ’Indus. A ce prix, Mohammed
conservarlrsa couronne, et Nadir retournait en Perse chargé des
dépouilles de l ’Inde. Other fart monter à soixante-dix Mourons de
roupies ce qu’emporta le vainqueur, et à dix kiourous ce que l’armée
avait pillé à Delhi. Ces deux sommes peuvent être évaluées, à
un milliard huit cents millions de livres (1).
Nadir resta cinquante-sept jours à Delhi : il en partit le 4- mai
1739, emmenant avec lui un grand nombre d’architectes et d’ouvriers
indiens. Il avait trouvé la capitale du Mogol si supérieure
aux plus belles villes dé la Perse, par la m agnificence des palais ,
dés temples , des édifices'publies; par la beauté des maisons, la
distribution des dppartemêns ; par la régularité, la propreté et la
commodité des rues, des places, des marchés , qu’il avait formé
le dessein .d’eri bâtir une semblable dans la belle plaine d’A -
madan.
Arrivé à Sërhind, il continua sa route, laissant Lahor à droite.
Il1 fut arrêté long-tems par- lé fleuve Dchenaè ou D jena b , qu’on
croit être YAsésines des Anciens : H y fit établir un pont de bateaux ;
mais ayant été rompu par une çrûe subite et par dé gros arbres
que les habitans des environs y jetèrent à dfessein, il se détermina
à lè passer sur dès barques.
Pendant que l’armée passait lè fleuve au commencement de-juillet,
Nadir fit proclamer l’ ordrè à tous ses soldats et officiers de
porter dans son trésor tout le Butin qu’ils avaient fait dans l’Inde,
sous prétexte que leur marché était retardée ; qu’il fallait d’ailleurs
en faire une répartition égale à leur arrivée en Perse.: Cet ordre
n’ayant pas été exéfcnté avise! toute Inexactitude qu’il desirait,, il fit
foufflet tout le monde, et visiter tous les bagages. On enleva tout
ce qn’ bn trouva ; mais on ne pu t empêcher que, dans leur indignation’,
la plupart des soldats ne jetassent dans lë fleuve lés objets
(1 YVoyage en Turquie etenT ersè, tom. I I , pag. 90.