produisent ordinairement, chez les gens de guerre, l ’indiscipline
et l’anarchie. Bagher était venu à bout, par ses libéralités et ses
promesses, d’en prendre un grand nombre à sa solde ; mais comment
compter sur des hommes corrompus, que la crainte du châtiment
ne retient pas? Ces hommes abandonnèrent Bagher dès qu’ils
surent que Djaffar était aux portes de la ville, et même la plupart
d’entr’eu x, après avoir dissipé l ’argent qu’ils avaient reçu du gouverneur,
conçurent le criminel dessein de le saisir et de le livrer à
son ennemi.
Bagher, instruit à tems de ce complot, parvint à sortir de la ville
avec une partie de ses gens, et à se sauver dans un village des environs
, dont il était le seigneur.
Cette soldatesque, n’étant plus retenue par aucun frein, se porta
alors à tous les désordres imaginables : ni le ran g, ni l’â g e , ni le
sexe , rien ne fut respecté. Ispahan présenta, durant trois jours ,
toutes les scènes d’horreur d’une ville prise d’assaut et livrée à la
vengeance, à la cupidité, au cynisme d’un ennemi aussi cruel que
corrompu.
Djaffar était campé, à deux lieues de la ville, avec sept ou huit
mille hommes seulement. Les habitans accouraient en foule auprès
de lu i , et le conjuraient de mettre un terme à tant de maux. Il
céda enfin à leurs instances : il entra le 18 dans Ispahan, et fit
cesser tous les désordres qui y régnaient; il parvint à faire arrêter
Bagher et à le faire enfermer ; il fit aussi arrêter quelques seigneurs
soupçonnés d’avoir voulu favoriser la rébellion du gouverneur.
Avant d’entrer dans la v ille , Djaffar avait envoyé à Téhéran un
courier, afin d’instruire Scheik-Veis de ce qui se passait, le prier de
lui transmettre ses ordres, et l ’engager à venir promptement à la
capitale pour y occuper le trône de son père.
Scheik-Veis était parti de Téhéran à la première nouvelle qu’il
avait reçue de la mort d’Ali-Murad ; il avait laissé en arrière sa
faible armée, et n’avait pris avec lui que quelques officiers de sa
maison. Ayant appris en route que Djaffar était le maître d ’Ispahan,
et ne lui supposant, d’après ses dépêches et sa conduite antérieure,
aucune mauvaise intention, il était entré dans Ispahan vers la fin de
février, sans précaution comme sans méfiance. Il avait envoyé la;
veille un courier à son oncle pour lui annoncer son arrivée, et il
allait descendre dans le palais royal quand tout à coup il se vit
entouré par une multitude de gens de guerre, et chargé de chaînes
avant même qu’il fût revenu de son étonnement.
Djaffar fit saisir en même tems tous les fils et tous les parens
d’Ali-Murad, ainsi que les deux ministres Myrza-Rebbi et Myrza-
Anadolla, et les fit enfermer dans les prisons royales ; il y envoya
aussi Bagher-Khan, qui était à ses y eu x , non pas le plus dangereux ,
mais le plus coupable de tous.
Lorsqu’il se fut assuré de tous les hommes qui pouvaient mettre
obstacle à ses desseins, et qu’il eut donné à l’armée des chefs qui
paraissaient dévoués à sa personne, il leva le masque ; il p r it,
comme Kérim et comme Ali-Murad, le titre de lieutenant-général
du royaume, et se transporta, vers le milieu de mars, en grande
pompe, dans le palais ro y a l, où il reçut le serment de fidélité de
tous les grands de la ville.
L ’armée de Djaffar était devenue très-nombreuse, et les revenus
de l’Empire diminuaient tous les jours. La Perse, déjà considérablement
appauvrie, ne payait les impôts qu’avec beaucoup de peine,
et dès qu’il survenait des troubles à la capitale, la plupart des
villes suspendaient totalement l’envoi des sommes qu’elles devaient
verser dans les coffres du fisc. D ’ailleurs, quelques provinces du
nord ne payaient que lorsqu’elles y étaient forcées ; d’autres étaient
en rehellion. Djaffar, pressé par le besoin, crut trouver un bon
moyen de se procurer de l’argent en faisant mettre sous le bâton
Bagher-Khan, les ministres Myrza-Rebbi et M yrza-Anadolla, ainsi
que les seigneurs qu’il tenait dans les fers, et les obligeant à lui
payer de très-fortes sommes pour racheter leur vie. Il se conduisit
de la même manière à l ’égard de son eousin-gerraain Ismaël-Kha-n,■
fils de Soggiadi-Khan , frère de Kérim (1) ; mais -c’était envers
Bagher, comme le plus riche de tous, qu’il se montra le plus cruel : '
(1) Soggiadi-Khan mourut avant le vékil.
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