conduisait d’un côté dans deux pièces qu’occupait Aga-Riza, et de
l’autre dans un salon de compagnie, où nous nous établîmes, mon
collègue, le drogman et moi. Nous y plaçâmes nos matelas, et
nous y reçûmes la visite de tous les principaux habitons de la v ille ,
et d’une foule de malades qui venaient presqu’à chaque instant nous
faire part de leurs maux, et nous demander des remèdes.
Une demi-heure après que nous fûmes chez A g a -R iza , on nous
servit à dîner : i f consistait en une petite assiète de yougourt ou lait
caillé a ig r i, deux oeufs durs coupés en morceaux et placés sur une
petite assiète de faïence, semblable à nos soucoupes à café; un peu
de fromage frais sur une pareille assiète : le tout accompagné d’un
peu de vinaigre et de raisiné, délayés ensemble dans un petit vase
de cristal. On n’avait pas oublié de nous donner de la glace. Le pain
qu’on nous servit ne pesait pas une livre ; il était mince, aplati, de
forme o v a le , parsemé de trous ou enfoncemens ; du reste, fort
blanc et assez bon.
Aga-Riza eut l’honnêteté de nous faire compagnie et de partager
avec nous ce d îne r, que nous crûmes d’abord ne nous avoir été
présenté qu’en attendant quelques mets plus solides ; mais il fallut
s’en contenter : on ne nous donna rien autre. Le souper fut servi
à l’entrée de la n u it, sur une terrasse de la maison : les parens et
quelques amis du douanier y assistèrent. Nous y eûmes un pilau
assez copieux , au riz et au beurre ; un quartier d’agneau rôti et
quelques confitures.
Tous les convives persans mangèrent fort peu, et se contentèrent,
pour boisson, d’eau pure ou d’un breuvage fait avec du raisiné
et du vinaigre délayés dans un peu d’eau. Ils y ajoutaient, pour
le rafraîchir, un petit morceau de glace, auquel ils ne donnaient
pas le tems de fondre entièrement, afin de se réserver le plaisir de
le garder quelques instans dans la bouche. On plaça devant nous un
bol de bon vin blanc, que pas un Persan ne voulut goûter.
Le lendemain, vers les huit heures du matin, on nous servit un
très-petit morceau de pain et un peu de raisiné au coing, et à midi
un dîner en tout semblable à celui de la veille. Le souper fut de
même composé d’un pilau, d’un rôti de mouton ou d’agneau, et de
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quelques friandises : le tout en miniature, quoique nous fussions,
le jo u r , trois ou quatre personnes, et le soir huit ou d ix.
Nous nous serions volontiers contentés de cet ordinaire si on
nous avait servi plus de pain au déjeûner et au dîner; si la décence
ne nous avait obligés d’imiter, au souper, les Persans, qui mangeaient,
fort peu, et qui ne restaient jamais plus de quinze ou vingt
minutes à table.
Le troisième jour nous prîmes le parti de faire apprêter au cara-
vanserai, où nous avions laissé nos domestiques, nos chevaux et
nos effets, un supplément à notre dîner ; mais avant dedonner un
pareil ordre, nous avions prié le drogman de nous excuser auprès
d’Aga-Riza, sous le prétexte que nous désirions, autant qu’il était
possible, conserver nos usages européens. Le douanier ne fut point
offensé de notre conduite : il continua de dîner avec nous toutes
les fois que ses affaires le lui permirent, et il goûta de tout ce qu’on
nous servit, quoiqu’apprêté par un Arménien.
Il me fût rien changé au souper : ce fûrent toujours les mêmes
mets, et presque toujours les mêmes convives.
Nous étions depuis long-tems accoutumés à la vie sobre et frugale
des Turcs; nous avions vu les Arméniens, dans les caravanes,
;se contenter deux fois par -jour d ’un peu de pain qu’ils assaisonnaient
avec une espèce de sariète en poudre, et cependant nous
avouerons que nous fûmes surpris lorsque nous vîmes, à Kermân-
clxah, à Téhéran , ù lspahan et partout ou nous avons passé la
petite quantité de nourriture qui suffit à un Persan, et dont il se
contente lors même qu’il peut se livrer sans dépense à tout son
appétit.
Il mange en général fort peu de viande, et ne fait guère usage,
parmi elles, que du m outon, de l ’agneau, du chevreau et de la poule;
il touche rarement au boeuf, au chameau, au pigeon, èt jamais au
porc, au gibier et au poisson; il préfère se nourrir de riz , de laitage,
d’herbage et de fruits;. Il akme beaucoup les sucreries, les confitures,
les bonbons de toute espèce; il prépare une infinité de sorbets avec
le suc des fruits , qu’il aromatise avec le musc , l ’ambre, l ’eau de
rose, 1 eau de .saule., 1 essence de girofle et celle de canelle, etc.
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