pas s’empresser de faire la paix avec celui qui tenait déjà presque
tout l’Empire sous sa main. Au x premières propositions qui lui
furent faites, il se soumit, et lit passer trois ou quatre mille hommes
qu’il avait à sa solde.
Méhémet n’eut pas plutôt connaissance de la défection du khan
du Guilan, qu’il envoya contre lu i, vers la fin de l’été 1783, un
corps nombreux de Kagiars, avec ordre de le tuer et d’enlever tous
ses trésors. Ces Kagiars côtoyèrent la Caspienne, et tombèrent sur
Reicht au moment qu’on ne s’y attendait pas. A peine Hidéat eut-
il le tems de se sauver avec sa famille au port d’Enzelli , et d’emporter
ce qu’il avait de plus précieux. Reicht fut.pillé, et le palais
du gouverneur devint la proie des flammes.
L ’année 1784 fut beaucoup plus favorable que les précédentes
aux armes de Scheik-Veis. Ce jeune prince entra dans le Mazan-
deran avec toutes ses troupes, après avoir forcé tous les passages,
et après avoir partout battu son ennemi ; il lui enleva successivement
toutes les villes de cette province, et le poursuivit jusqu’aux
environs d’Aster-Abad, où-il l’obligea de s’enfermer.
Les succès qu’avaient obtenus les armes d’A li-Murad, donnèrent
lieu, dans toute la Perse, à des fêtes magnifiques. Les habitans
d’Ispahan entr’autres se livrèrent à la joie avec cet abandon, avec
ce délire que produisait chez eux l’espoir d’un avenir plus heureux.
Suivant un témoin oculaire (1), tous les besesteins forent tapissés
en brocard d’or ou en étoffes de soie, et illuminés pendant les trois
nuits que durèrent les fêtes : on voyait partout des bateleurs et des
musiciens ; les rafraîchissemens étaient offerts gratuitement à tous
les passans qu’on inondait d’eau de rose, et partout retentissait le
nom d’A li-Murad.
La destruction de presque toute l’armée de Méhémet, la soumission
du Guilan et de presque tout le Mazanderah ne faisaient plus
douter qué le calme ne succédât enfin à la violente agitation qui
venait d’avoir lieu. T out le monde se flattait de jouir bientôt et pour
(1) M. <?e Ferrières-Sanveboeuf, Mémoires historiques, politiques et géographiques
; tom. ï , pag. %qi.
long-tems de cette paix après laquelle on soupirait, et dont on
avait si grqnd besoin. On se flattait surtout que le règne d’A li-
Murad serait pour le moins aussi lo n g , aussi paisible , aussi glorieux
que celui de Kérim, et que les actes de tyrannie y seraient
aussi rares.
Mais la Perse n’était pas encore parvenue au terme de tous ses
maux; Méhémet n’avait pas encoke renoncé à semer le trouble et
le désordre dans son pays.
Aster-Abad tenait toujours : cette ville, bien approvisionnée et
dans un bon état de défense, avait reçu plusieurs fois des secours
de divers seigneurs turcomans ; ce qui faisait craindre à la cour,
que le siège ne traînât en longueur, et ne finît par dégoûter le soldat,
qui d’ailleurs avait à se plaindre de la mortalité qui régnait
dans l’armée depuis qu’elle avait mis le pied dans le Bas-Mazande-
ran. Divers détachemens que Scheik-Veis avait envoyés à l ’orient
et au midi de cette ville pour se procurer des vivres', avaient été
battus, et on apprenait que les Turcomans, enhardis par ces succès,
se renforçaient de plus en plus.
Ces considérations portèrent Ali-Murad à sortir d’Ispahan, le 24
juillet 1784, avec environ soixante mille hommes qui lui restaient,
et à se rendre à Téhéran afin d’être plus à portée de faire passer
des secours à son fils, et de diriger ses opérations.
Dix ou douze mille hommes que Scheik-Veis reçut, le mirent
en état d’enlever, avant la fin de l’é té , Aster-Abad à son ennemi,
de pénétrer ensuite dans le Tabéristan, de se rendre maître de
Semnan et de Damegan, et de venir bloquer Bostan, où Méhémet
s’était réfugié avec ses frères Djaffar-Kouli et Ala-Kouli. Cette
ville, patrimoine de la famille, renfermait tout ce que Méhémet
avait de précieux. Riza-Kouli-Khan, un de ses frères, y était détenu
depuis plus d’un an pour des raisons qu’on ignore (1). Forte par
sa position, bien pourvue de vivres et de munitions de guerre ,
.(1) Riza-Kouli était un des premiers officiers d’Ali-Murad lorsque la révolte d»
l’armée de ce chef éclata à Ispahan ; il se rendit, avec Luit ‘ cents Kagiars qu’il
commandait, à Chiras, et il y resta durant le siège.