terre bien vernissés : on l ’envoie presque tout à Constantinople. L e
peu de vin qu’on fait dans ce village est tout converti en eau-devie.
Nous y avons goûté des pommes sauvages qu’on venait de cueillir
dans les bois; elles étaient de la grosseur d’une petite pomme d’api,
et avaient un goût aigre et acerbe, qui ne permettait pas de les.
manger.
A mesure qne nous nous approchions de la capitale , les denrées
renchérissaient : il y en avait plusieurs qui valaient, dans ce village
, deux fois plus que dans l’intérieur de l ’Asie mineure. Le pain ,
la viande de boucherie , le riz , les légumes, y avaient au moins
doublé de prix. Les fruits, la vo laille, les oeufs, y étaient vendus
trois fois plus cher.
Le 17 , après six heures de marche par une pente douce, et en
suivant presque toujours un ruisseau , nous arrivâmes à Hersek.,
petite ville située à un quart de lieue du golfe de Nicomédie.
La langue de terre, nommée Glossa par les G recs, qui s ’avance
dans le golfe vers le milieu de sa partie méridionale, est basse, et
paraît formée par les terres et les sables que le ruisseau oharrie
lorsqu’il est grossi par les pluies.
L ’endroit où l’on s’embarque pour traverser le golfe, se trouve
à l ’orient de cette langue. Le capitan-paclia y entretient, à cet
effet, cinq ou six bateaux et une vingtaine de galiondjis. Cette route
est très-fréqnentée : c’est la seule qu’on prend lorsqu’on va par terre
de Brousse à Constantinople ; c’est aussi celle de Kutayéh., d’Eski-
Shéer, de Cara-Hissar, de Koniéh, d’E recli, de la Syrie et de Chypre
, à moins qu’on ne passe par Nicomédie; ce qui alonge la route
d’une demi-journée.
Après nous être reposés une heure à Hersek, nous allâmes vers
les bateaux : il y en avait trois prêts à partir. Ils portent deux
voiles carrées, et ne sont pontés qu’aux deux extrémités ; ils sont
du reste assez grands pour que douze'ou quinze cavaliers puissent
facilement y trouver plaee.
, En nous approchant, nous vîmes, sur le môle, un grand nombre
de Turcs qui tous voulaient s’embarquer , avec leurs chevaux et
leurs effets, sur le bateau qui déployait ses voiles : les deux autres
pourtant devaient partir immédiatement après. Le tems était beau,
et le vent favorable -. il soufflait légèrement de l’ouest, et il n’y avait
pas à craindre qu’il changeât de toute la journée. Si l ’on se fût entendu
, un quart-d’heure eût suffi pour que tout le monde se trouvât
place. Le second bateau eût parti quelques minutes après le
premier ; le troisième l’eût bientôt suivi ; ils étaient plus que suffi-
sans pour nous tous recevoir. L ’entêtement de quelqûes voyageurs
et la brutalité des galiondjis furent cause que nous demeurâmes près
de deux heures sur le rivage , et que nous y fûmes, témoins d’une
scène extrêmement affligeante.
Il s eleva une querelle entre les galiondjis du premier bateau et
quelques voyageurs, au sujet des effets qui avaient été déplacés, et
qu’on ne retrouvait pas. Le premier bateau était trop plein ; il fallait
l ’alléger, et passer ces effets dans le second bateau où plusieurs
voyageurs avaient enfin consenti à entrer. On cria peu , les Turcs
ne sont pas querelleurs ; mais on agit avec la férocité qui caractérise
ce peuple encore barbare. Un jeune galiondji, qui se trouvait dans
le troisième bateau, et qui jusqu’alors n’avait pris aucune part à
la dispute, en sortit tout à coup, s’élança au milieu des voyageurs
le yatagan à la main, en blessa un à la cuisse, et provoqua au combat
tous les autres.
Celui qui venaitd’être blessé, étaitun homme de soixante-dix ans.
Le fils, qui n’en avait pas vingt, et qui se trouvait pour lors à quelques
pas de là , ne vit pas plutôt couler le sang de son père, qu’il tira
aussi son yatagan, et se précipita sur le galiondji pour le frapper;
mais il manqua son coup, et fut blessé lui-même légèrement au bras.
Les autres galiondjis, qui craignirent sans doute que leur camarade
ne fut atteint à son tour par le fèr de ces deux hommes justement
irrités, se jetèrent aussitôt sur eu x, et les désarmèrent. Cette
conduite eût été sage , et eût mis fin à la querelle s’ils avaient en
même tems désarmé celui d ’entr’enx qui s’était déjà rendu coupable
d ’un crime capital, et s’ils l’avaient fait rentrer dans son bateau;
mais bien loin de là , ils le protégèrent,, et parurent prêts à le défendre
contre quiconque oserait l’attaquer.
S s s 2