et sous les Grecs; mais sa population s’y était soutenue ; le commerce
que ce peuple marchand y faisait, avait entretenu l ’agriculture
et y avait maintenu l ’industrie. Les villes n’y étaient plus ni
aussi nombreuses ni aussi belles qu’autrefois, parce que le j oug de
ces étrangers dut paraître trop pesant à des insulaires naturellement
portés à l ’indépendance. Mais sous les Turcs, sous ce peuple aussi
barbare que féroce, population , commerce, industrie ; agriculture,
tout a souffert, tout a langui. Chypre, sous la double tyrannie du
gouvernement et de chaque individu musulman, domicilié ou simplement
de passage , est devenue en peu de terns le pays le plus
pauvre, le plus malheureux de tous ceux que [les Grecs occupent
encore. 7 ‘
Ce qui aggrave chaque jour le sort bien déplorable des Cypriotes,
c ’est que l ’impôt établi à 4oo bourses ou 400,000 livres après la prise
de l ’île , a été successivement po rté, par les avanies et les présens
forcés, à plus d’un million de piastres, et qu’il se soutient toujours
au même ta u x , quoique le pays se dépeuple d’une manière
effrayante, et que la culture des terres y soit très-négligée faute de
bras. Ceux qui restent dans le pays, paient pour ceux qui; s’expatrient
ou qui périssent de misère. Il faut ajouter à cette somme,
qui passe toute à Coustantmople sans espoir de retour, ce que le
inutselim et l’évêque métropolitain, établis à N icosie, exigent pour
leur fastueux entretien ; ce qùe la garnison de Famagouste dépense;,
et ce qu’il faut donner à un clergé aussi nombreux et aussi consommateur
qu’il pouvait l’être dans des tems plus prospères.
, On ne compte aujourd’h ui, en Chypre , qu’environ huit mille
Grecs payant karatch ; ce qui peut faire supposer qu’avec leurs
femmes, et leurs enfans au dessous de douze ans, qui est l’âge, dans
cette île, où les mâles commencent à être personnellement imposés,,
leur population ne s’élève pas au-delà de trente mille. Les Turcs
qui se trouvent à Nicosie, à Fainagouste, ou qui sont répandus en
très-petit nombre dans l ’île, n’y sont pas évalués à plus de trente
mille. Ainsi un pays qui pourrait nourrir un million d’habjtans
avec les seules productions du sol s’il avait un bail gouvernement,
n’en a guère que stoixante mille sous celui des Turcs,
. N ’ayánt pàs trouvé, à Larnaca , de navire en chargement pour
Marseille ou pour l ’Italie, nous résolûmes de nous rendre à Cons-
tantinople par la Natolie, et de charger le consul de nous y faire
passer par mer nos collections et les effets dont nous pouvions pour
le moment nous passer. Débarrassés de tout ce qui pouvait retarder
ou gêner notre marche, nous prîmes des chèvauX, et nous partîmes
le 13 septembre, à deux ou troiaJiCîires de nuit, pour Nicosie ;
où nous arrivâmes dans huit heures, par un terrain inégal sans
être montaOg neux. #
Cette ville, depuis long-tems la capitale de l’î le , est grande, bien
bâtie, et située au milieu d’une plaine fertile et arrosée, qui s’étend
assez loin au nord et à l’est, mais qui est bornée, au1 sud-ouest, par
un coteau qui la domine à un quart de lieue seulement* Sés maisons
, toutes construites en maçonnerie , ont plus dé solidité qué
n’en donnent les Turcs. On y voit encore quatre églises anciennes j
que les Vénitiens avaient conservées, et qui ont été transforméeâ
en mosquées. Sa population peut aller à quinze mille liabitans ,
dont les trois quarts sont Turcs.
: Nicosie paraît avoir eu ¿utrefois beaucoup plus d’étendue qu’elle
n’en a à présent. Les Vénitiens , qui voulurent en faire une placé
fo r te , la réduisirent au point où elle e s t , et l’entourèrent d'un bon
rempart. On sait qu’elle leur fut enlevée en 1570 par les Turcs
après un mois dé siège. Dándolo, qui avait soutenu , avec deux
mille cinq cents hommes, tous les efforts d’une armée innombrable
et accoutumée à se battre , et qui avait obtenu, en se rendant, une
honorable capitulation, fut égorgé avec sa garnison, nonobstant
les promesses et l’engagement par écrit du général turc ; quinze
mille faabitans furent en même tems passés au fil de Tépée, et vingt-
cinq mille forent chargés de chaînes et envoyés à Constantînople
pour y être vendus. La ville fut pillée, et n’e u t, pendant long-
tetns, point d ’autres liabitans que ceux qui venaient d’y commettre
tous les désordres et tous les crimes imaginables.
- Nous partîmes le même soir vers les -six heures , et prîmes la1
route de Cérino, petite ville.' située sur la côte septentrionale de
l’ île. Après avoir marché une heure ; nous quittâmes la plaine de