l ’Euphrate qu’au retour de la belle saison, et,lorsque toutes les
herbes sont consommées dans les contrées méridionales. Il n’y a
donc à craindre, l’hive r, aux environs du fleuve, que ces hordes
peu nombreuses, qui, n’ayant pas de territoire en propre, n’ont
pas de demeure déterminée. Elles sont obligées, pour v iv re , de
pâturer sur les terres des autres ; ce qui les fait tenir à de grandes
distances. Elles sont très-pauvres et très-portées à la rapine ; elles
p ’o n t, pour l ’ordinaire , ni tentes, ni bagages, ni menu bétail, ni
rien qui puisse les embarrasser ou les retarder, dans leur fuite :
quelques jumens, quelques chameaux femelles et quelques ânesses,
voilà en quoi consiste, tout leur bien.Comme,dans ces hordes, il
n’y a jamiais au-delà de trente ou de quarante combattans , -une
caravane n’a rien à craindre d’elles lorsqu’elle marche en ban ordre,
et qu’elle a pris les précautions qu’exige sa sûreté.
: Quant à celles qui sont nombreuses, et à qui le territoire appartient,
on est toujours, certain de passer parmi elles sans rien craindre
j pourvu qu’on se soumette à leur faire un présent, ou à leur
payer;une somme proportionnée à l ’importance de la caravane.
Dès que la horde qui était campée à une journée d’Anah eut vu
nos deux chefs, elle se disposa à nous envoyer deux personnes des
plus distinguées, afin de traiter sur les lieux du prix que l’on
aurait à lui payer. Nous les vîmes arriver sur des dromadaires, le
m juin vers les dix heures du matin : c’étaient deux frères, très-
proches parens du scheik ; ils avaient fort bonne mine, et étaient
dans la fleur de l ’âge. Le plus jeune paraissait avoir souvent fait la
guerre; il ne respirait que combats , et-ne parlait que de batailles :
sa figure portait les marques d’un coup de sabre et d’un coup de
lance; du reste, il était fort gai, fort honnête, très-complaisant, et
eertainepient aussi brave que le plus déterminé de ces contrées.
; L ’arrivée de ces deux Arabes fut célébrée par un festin auquel
tous les chefs de la caravane assistèrent. Ils égorgèrent, à cet effet,
un chameau fort gras et encore jeune , dont ils se réservèrent une
bonne partie, et dont ils firent distribuer gratuitement le reste aux
marchands et aux voyageurs : nous en eûmes, pour notre pa rt,
douze ou quinze livres , que, nous fîmes préparer de diverses
manières. Nous trouvâmes cette chair pour le moins aussi bonne
que celle du meilleur boeuf de Suisse ou de Normandie.
Avant de se mettre à table, avant de manger ensemble le même
pain et lé même sél , il était convenu que la caravane donnerait
en présent, au scheik de la horde / quatre Cents piastres, quelques
provisions de bouche et un habit complet, et que les deux Arabes
veilleraient à sa sûreté, et l ’accompagneraient jusqu’à la tribu la
plus voisine, distante d’environ quatre-vingts milles d’Anah.
Le lendemain toute la caravane se prépara audépart j et le 14 >
au soleil levant, elle se mit en marche en se dirigeant à l’ouèst-
nord-ouest. Le terrain était inégal, un peu montueux , calcaire,
et aussi impropre à la culture, que celui de là Mésopotamie. Après
avoir fait environ huit miiles, nous traversâmes un torrent qui se
trouvait à sec, mais où il y a , dit-on, dé l’eau en hiver j et nous
campâmes un peu au-delà. Le fleuve était à deux lieues de nous :
on avait porté de l’eau pour toute la caravane, parce qu’on s’était
bien douté que nous n’en trouverions pas dans le torrent.
Après midi, nos vedettes signalèrent quinze cavaliers arabes ; tous
les chefs montèrent aussitôt à cheval, et s’avancèrent en bon ordre
la lance à la main ; ils étaient au nombre de vingt-un , y compris
les deux qui nous accompagnaient. Les fusiliers s’armèrent' aussi,
et se mirent en ligne au-devant du camp. Les Arabes qu’on avait
signalés, ne prirent pas la fuite ; ils attendirent les chefs et se dirent
leurs amis ; ils appartenaient à une tribu de la Mésopotamie, ennemie
de celle qui était campée aux environs ; ils avaient passé le
fleuve à la nage, tenant à la main la bride de leur cheval, et portant
autour de la tête leurs vêtemeits et quelques provisions de
bouche. Leur intention était, à ce qu’on c ru t, d’enlever quelques
bestiaux à leurs ennemis, et de repasser le fleuve avec leur proie.
Après un quart-d’heure d’entretien, et après avoir obtenu de leur
part la promesse de ne rien entreprendre, et de rétourner sur-le-
champ en Mésopotamie, on se sépara sans se faire aucun mal.
Le i 5 , après septheures de marche sur des terres calcaires crétacées,
nous descendîmes dans la vallée de l ’Euphïate par un terrain
tout rongé par les eaux ; nous traversâmes un torrent qui se
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