V O Y A G E E N P E R S E ,
d Ibrahim, ne lui permettant pas d’agir alors hostilement, il s’était
retiré à Tauris avec la partie de l ’armée qu’il avait à ses ordres, et
il s était borné à demander à Ibrahim qu’il lui fît part des trésors
de N ad ir , en reconnaissance du service qu’il venait de lui rendre.
Ibrahim refusa de donner les sommes qui lui étaient demandées.
Outré alors de colère, Émir-Aslan se disposa à se faire un État
indépendant des provinces qu’il gouvernait, et à se frayer par-là
un chemin au trône de la Perse.
Ibrahim, apprenant ce qui se passait à Tauris , ne perdit pas un
moment; il quitta Amadan, où il était Venu après son combat contre
A d e l, et prit la route de l ’Aderbidjan. Son ennemi était trop brave
pour éviter le combat ou s’enfermer dans une ville; il sortit donc
de Tauris aux premières nouvelles de la marche d’Ibrahim, et vint
au devant de lui pour le combattre. Les deux armées se trouvèrent
en présence dans la plaine de Meragué, et en vinrent bientôt aux
mains. Émir-Aslan y fut battu et obligé de prendre la fuite ; il fut
pris peu de tems après et conduit à Ibrahim, qui lui fit trancher
la tête.
Charokh-Mirza étàit toujours enfermé dans le château de Mes-
ched : le peuple en était instruit, et le demandait à grands cris. Il
avait vu avec plaisir qu’Adel fut puni de ses crimes ; il avait été bien
aise qu Émir-Aslan eût péri ; mais il voulait qu’Ibrahim s’en tînt là ,
et qu il plaçât sur le trône celui que la naissance y appelait.
Ibrahim feignit un moment de se rendre au voeu de la nation ; il
feignit un moment de n ’avoir pris les armes contre son frère, que
pour rendre la couronne à Charokh. Ce parti eût été sans doute le
plus sage; mais pouvait-il entrer dans la tête de celui qui, pour
regner, avait arboré l ’étendard de la révolte, et était entré en lice
avec des forces inférieures et au risque de perdre la vie ?
Ibrahim venait de surmonter les plus grands obstacles qui s’opposaient
à sa marche : il était à la tête d’une armée formidable; il
ne voyait autour de lui ni rivaux ni concurrens ; tous les khans
étaient soumis; il avait à sa disposition des sommes considérables.
Comment pouvait-il craindre un enfhnt détenu dans les fers ? un .
enfant qu il ne tenait qu’à lui de faire disparaître ? En feignant de
placer Charokh sur le trône de Nadir, a-t-il voulu l’attirer à lui et
s’en rendre maître comme avait fait son frère Adel ?
Quoi qu’il en soit des desseins secrets d’Ibrahim, aussitôt après
la victoire qu’il remporta sur Émir-Aslan, il envoya dans le Kho-
rassan son frère Hussein-Beg et deux autres khans, afin de se concerter
avec les seigneurs de la province, faire sortir Charokh de sa
prison, et l’inviter à venir dans l’Irak pour prendre le commandement
de l’armée, et pour s’y faire reconnaître et proclamer roi par
tous les grands de l’Empire.
Les chefs de tribus et les seigneurs qui se trouvaient dans le
Khorassan, se méfiant des intentions d ’Ibrahim, lui firent répondre
q u e , puisqu’il paraissait vouloir établir sur le trône le prince qui
seul y avait des droits, son installation pouvait se faire dans le
Khorassan comme dans l’Irak ; ils l’invitaient en conséquence à y
donner son consentement, et à' permettre qu’elle se fît le plus tôt
possible; et, sans attendre sa réponse, tous les seigneurs, agissant
d’un commun accord, se portèrent au château dans lequel Charokh
était enfermé ; ils brisèrent ses fers et lui offrirent la couronne.
Charokh, qui craignait une surprise de leur part, ou qui
appréhendait que leur offre ne fut pas appuyée du voeu du peuple
et de l ’armée, refusa d’abord de monter sur un trône auquel sa
position ne lui permettait pas, disait-il, de prétendre; mais sur les
protestations de fidélité et de dévoûment que les seigneurs lui firent,
et sur l’assurance qui lui fut donnée, que la nation entière desirait
qu’il succédât à Nadir, il se prêta volontiers à leurs désirs. Il sortit
donc en grande pompe du château le 20 septembre 1748, et monta
solennellemènt sur le trône.
Dès que Charokh eut reçu le serment de fidélité de tous les chefs
de tribus, de tous les commandans et de tous les officiers publics
du Khorassan, il fit inviter Ibrahim à quitter son armée, à venir
auprès de lui afin de se concerter sur les moyens à employer pour
rendre la tranquillité à la Perse , et faire rentrer dans le devoir
quelques tribus rebelles, ainsi que les Afghans qui se trouvaient
encore répandus dans plusieurs provinces.
Trompé dans ses espérances, Ibrahim n’avait plus à balancer ;