Lezguis mirent à se décider, la soumission des trois khans et celle
de presque tous les scheiks arabes ne le rebutèrent pas. Il parvint
par ses intrigues, par ses menaces et par ses armes , à s’emparér de
tout l’Aderbidjan; il se crut assez fort pour ne plus dissimuler ses
prétentions.
- Kerim avait plusieurs fois sommé ce nouvel ennemi de- mettre
bas les armes ; il lui avait m'ême fait offrir un des premiers grades
dans l ’armée, ou une des premières places du royaume s’il voulait
imiter le gouverneur du Guilan. Fétah-Ali avait toujours fait des
réponses évasives ; il avait cherché à gagner du tems, afin d’être
mieux en mesure de résister s’il était attaqué.
Lorsque Kérim eut perdu tout espoir, de ramener ce général par
l ’appât des'bienfaits, il prit le parti de le réduire par la force des
armes. Il partit à cet effet d’Ispahan. en avril 1761-, avec une armée •
considérable, et se dirigea vers l ’Aderbidjan par la route de Câ-
chan, Kom, Sava et Casbin.
F é tah -A li, qui n’avait guère plus de dix mille hommes à lui
opposer, quitta Tauris a la première nouvelle de sa marche, e t
vint s’enfermer dans Urmia, qu’il avait bien approvisionnée et mise,
dans un bon état de défense.
• Arrive â Sultanie, Kerim détacha de son armée dix ou douze
mille hommes, dont il donna le commandement à Scheik-Ali, avec
1 ordre de se porter sur Tauris et A rd eb il, et de soumettre ces
villes, ainsi que toute la province, pendant qu’il irait luî-même
faire le siège d’Urmia.
Scheik-Ali ne trouva aucun obstacle dans sa marche : toutes les
villes de l’Aderbidjan lui ouvrirent leurs portes, et le reçurent
comme un libérateur ; mais Urmia tint b on , et se défendit avec
courage. Kérim ne put ni s’en emparer ni faire des progrès sensibles,
malgré toute l’ardeur qu’il y mit, et la nombreuse artillerie
qu’il y employa : il perdit beaucoup de monde dans les diverses
attaques qu’il entreprit,- ce qui l’obligea de convertir le siège en
blocus,
Pendant que les assiégeans ravageaient les environs pour ôter
toute ressource aux assiégés, et que ceux-ci faisaient de fréquentes
sorties
sorties pour se procurer des vivres et des fourrages, les deux com-
mandans prirent la résolution de se défaire l ’un de l’autre par un
assassinat.
Fétah-Ali’ voulait se débarrasser promptement d’un ennemi qui
pouvait s’opiniâtrer à rester autour de la place , et Kérim ne voyait
que ce moyen de se rendre maître d’une ville qu’il savait être très-,
forte et très-bien approvisionnée.
Cette, étrange manière de se défaire d’un ennemi armé est autorisée
dans ce pays par l’usage, les moeurs, l’opinion : on sait qu’elle
flétrirait en Europe un militaire qui voudrait y avoir reco-urs. En
Perse, on n’a jamais regardé comme un déshonneur ou comme une
lâcheté de plonger un poignard dans le sein d’un ennemi qui n’est
pas en mesure de se défendre, et de se servir pour cela de la main
d’un autre. Celui-là même qui porte le coup , n’est déshonoré que
lorsqu’il trahit l’amitié, ou qu’il manque à la reconnaissance. Si
c’est un homme du parti ennemi, ou simplement quelqu’un qui
n’a jamais reçu de bienfait, qui n’a point contracté d’engagement,.
son action n’est pas toujours approuvée; mais elle n’a en elle-
même rien de déshonorant, surtout lorsqu’elle émane d’un ordre
qu’on ne peut se dispenser d’exécuter sans risque.
Mais ici ce sont les officiers eux-mêmes qui se chargent de cet
attentat : ce sont ceux qui doivent leur grade, leur bien-être à
l ’homme dont ils veulent percer le coeur.
Celui qui s’était engagé de porter le coup fatal à Kérim , était
un de ses généraux : il se nommait Ibrahim-Khan; il avait, à ce
qu’on croit, eu.part à l’assassinat de Nadir, et s’y était enrichi ;
il espérait cette fois monter au premier rang en abattant celui qui
l’occupait.
Obligé, pour l’exécution de son dessein, de se confier à quelques
personnes dont l ’assistance lui était nécessaire , Ibrahim fut
découvert, convaincu, et exécuté“ à la tête des troupes qu’il c o %
mandait,
• Fétah-Ali était menacé par trois officiers-généraux, qui s’étaient
engagés, après l’.avoir tué, de rendre la place et de passer au seryice
de Kérim, Il les aurait fait arrêter sans doute et les aurait envoyés
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