descendons une colline scabreuse , et nous nous trouvons dans une
large vallée. Nous appercevons, à sept ou huit lieues au nord, des
montagnes qui ont encore un peu de neige à leur sommet. Nous
avons eu ce jour-là huit heures de marche. Nous campons à peu
de distance d’un caravanserai en très-bon état. Mahidescht, village
assez étendu, se trouve à un quart de lieue à gauche.
Les habitans de ces contrées tirent du fruit du térébinthe qui
croît abondamment sur toutes les hauteurs, une huile bonne à mang
e r , et du tronc, par incision, une très-belle térébenthine, dont
nous avons parlé en traitant du commerce de Bagdad. L ’usage de
tirer de l ’huile du fruit du térébinthe doit être bien ancien, puisqu’il
en est parlé dans la retraite des dix mille (i).
Le 3i , nous marchons encore quelque tems dans la vallée ; nous
traversons ensuite des collines incultes, presque nues, et nous descendons
dans la belle plaine de Kermanchah. Nous arrivons à la
ville en côtoyant, pendant un quart d’heure, des jardins qui exhalaient
au loin une odeur extrêmement suave : c’était celle des fleurs
de l’olivier de Bohême, qu’on cultive partout dans ces contrées,
tant à cause des fleurs, dont on aime beaucoup le parfum, que
pour le fruit, qu’on mange avec plaisir, quoiqu’il soit peu savoureux.
Ces jardins sont arrosés par une eau vive et abondante, qui vient
par divers canaux des montagnes voisines. Nous y remarquons presque
tous les fruits de l’Europe tempérée ; nous y voyons aussi le
peuplier d’Italie, et une belle espèce de saule inconnue à nos
climats.
La caravane alla descendre au caravanserai, bâtiment spacieux
et en fort bon é ta t, situé dans l’intérieur de la ville; nous la suivîmes.
A peine eûmes-nous mis pied à te rre, que le douanier se
présenta avec un commis pour recevoir la déclaration des marchandises
que la caravane avait apportées, et en percevoir les droits.
Nous ayant au premier coup-d’oeil reconnus pour étrangers, quoique
rn Voyez la traduction imprimée à Paris en 1777, c'iez Cellot et Jombert,
pag. 3o4-
nous
C H A P I T R E P R E M I E R . 9
nous fussions vêtus à la persane depuis notre départ de Bagdad, et
que nous eussions laissé croître notre barbe, ainsi que c ’est l’usage
en Perse, il s’approcha de nous pour s’informer qui nous étions et
ou nous allions. Sur notre réponse que nous étions Français, que
nous allions à la cour de Méhémet, et que nous avions une lettre
du pacha de Bagdad pour Moustapha-Kouli-Khan , gouverneur
de la v ille , le douanier montra beaucoup d’empressement à la
porter lui-même à son adresse. Nous la lui donnâmes aussitôt, et
nous n eûmes pas long- teins à attendre la réponse, Un quart
d heure après, le douanier revint, et nous dit que le gouverneur
lui avait donné l ’ordre de nous complimenter sur notre heureuse
arrivée, et de nous fournir un logement et tout ce dont nous avions
besoin ; qu en conséquence il nous priait de venir dans sa maison,
parce qu il serait plus à portée de nous rendre tous les services qui
dépendraient de lui.
Nous témoignâmes d’abord le désir de nous établir au caravane
serai, afin de pouvoir nous livrer 'avec plus de facilité à nos recherches
, et y vivre à notre fantaisie ; mais le douanier parut si empressé
d executer les ordres du gouverneur ; il parla si long-terns des convenances
qui exigeaient que des étrangers adressés au roi par leur
gouvernement ne logeassent point dans un lieu public avec des
hommes de tous les états et de toutes les religions ; il mit tant d’honnêteté
dans ses offres de service ; il nous assura si fort que nous
serions chez lui avec la plus grande liberté, que nous consentîmes
de Ijonne grâce à le suivre, Îj
Aga-Riza (c e s t le nom du douanier) nous conduisit dans une
maison décenté, mais peu spacieuse; elle consistait en un petit bâtiment
carré, au milieu duquel était une cour de vingt-cinq à trente
pieds. La partie antérieure seulement avait un premier étage ; les
trois autres n ’avaient que le rez de chaussée. Le harem ou logement
des femmes, dont nous n’avons pas ru l ’intérieur, occupait le fond
de cette cour et un des côtés; la cuisine et les domestiques occupaient
1 autre, Aga-Riza logeait seul sur le devant. L ’escalier par
OÙ nous montâmes , était près de la porte d’entrée , à gauche ; il
était en bois, et n’avait guère que deux pieds et demi de large ; il
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