Il n'y a dans ce village et ceux des environs, aucune manufacture
, aucune sorte de fabrication : tous les habitans s y livrent à
la culture des terres ; ils récoltent plus de grains qu’il ne leur en
fau t; ils ont quelques troupeaux et quelques' ruches ; ils font du
beurre et du iougourt qu’ils vont vendre à Téhéran; ils y portent
aussi quelques fruits , tels que melons , pastèques , courges, concombres,
mélongènes, raisins, pêches, abricots, prunes et cerises.
Ils ont des fèves, des haricots, des lentilles, des gesses, des pois-
chiches et quelques autres légumes, mais très-peu de plantes potagères.
Tegrich méritait à tous égards la préférence que nous lui avions
donnée. Le ruisseau qui se trouvait à côté du village était fort large
et assez profond : ses eaux, peu abondantes a la iiu de 1 ete, coulaient
sur des cailloux ou à travers le cresson et diverses plantes
aquatiques ; elles prenaient naissance à peu de distance, et conservaient
long-tems toute leur fraîcheur , parce qu elles étaient
ga-ranties de l’action du soleil par des platanes, des noyers , des
saules et divers arbres fruitiers qui croissaient fort serres sur les
deux rives.
Ce lieu, dont la nature avait fait tous les frais, n’était point fréquenté
par les gens du pays. Nous pouvions y aller rêver du matin
au soir, sans craindre d’y être troublés. Les enfhns et les oisifs se
contentaient d’aller sous le platane de la mosquée, et jamais peut-
être aucun amant n’y est venu soupirer ses feux.
L ’occupation des villageois nous parut fort monotone, et leurs
plaisirs peu bruyans, peu varies. Ic i, point de danses champêtres,
point de promenades, point de repas d amis. On danse à 1* occasion
d’un mariage ou de la circoncision, qui a lieu ordinairement une
fois l’an ; mais les sexes ne se mêlent pas. Les hommes sont dans
une chambre ou dans un .corps-de-logis , et les femmes dans un
autre.
Nous étions dans ce village , aussi en sûreté que nous pouvions
le desirer. Nous nous transportions, seuls et sans armes, à de
grandes distances ; nous marchions dans les champs cultivés ; nous
allions aux villages voisins. Notre logement était mal fermé, et la
plupart du tems il restait ouvert, quoique nous fussions sortis ;
jamais pourtant nous n’avons couru le moindre danger ; jamais
nous n’avons essuyé la moindre insulte ; jamais nous n ’avons
éprouvé aucune perte. Nous étions seulement en butte, chez nous,
à une curiosité très-importune.
Parmi les malades qui venaient nous consulter , et que nous
recevions autant par bienveillance que pour notre instruction , il
se glissait des curieux et des oisifs qui prenaient place auprès de
nous sàns rien d ire , et qui restaient des heures entières â nous
considérer sans nous adresser la parole ; ils suivaient tous nos mou-
vemens avec une attention qui nous eût paru suspecte, et gue nous
n’aurions pas permise dans toute autre circonstance.
Nous n’avions pourtant rien dans notre costume, qui différât du
leur ; nous avions , comme eu x , rasé notre tête et laissé croître
notre barbe; mais nous parlions une langue qu’ils n’entendaient
pas; nous faisions des choses qu’ils n’avaient jamais vu faire; nous
nous tenions plus Souvent assis qu’accroupis. Si nous mangions,:
ils admiraient nos fourchettes, nos couteaux, nos serviettes ; ils
étaient étonnés de la quantité d’alimens qu’on nous servait et que
nous consommions. D ’ailleurs , ces alimens étaient préparés d’une
autre manière qu’ils n’avaient coutume de faire. Iis riaient beaucoup
, par exemple , de nous voir mettre du sucre et du lait dans
le café, et de prendre le tout avec du pain. Si nous mangions du
riz autrement qu’en p ilau , ils prétendaient qu’il ne pouvait être
bon.
Ces hommes cependant n'étaient pas aussi stupides que leur conduite
aurait pu le faire croire : ceux q u i, plus familiers ou plus
hardis, nous adressaient la parole, paraissaient avoir de l’inteMi-
gence et une sorte d’instruction, dont les autres n’étaient pas dépourvus.
Tous avaient de i’aisancef dans le maintien, de la ha rdiesse
dans le propos, et des idées plus étendues, plus nettes qu’on
n en trouve communément parmi les cultivateurs.
En Europe, il y a un espace immense entre ies habitans des
grandes villes et ceux des campagnes, entre l ’homme bien élevé et
celui qui ne l ’est pas. En Perse, nous n’avons pas trouvé qqé'Cet
l a '