qu’il affectait de faire publier partout, n’empêcherait pas les premiers
d’obéir à leur souverain légitime, plutôt qu’à un étranger qui
pouvait les humilier , les dépouiller, les massacrer, les traiter en
un mot comme il avait fait des Indiens.
D ’ailleurs, Nadir n’avait plus les qualités qu’exigeait cette grande
entreprise. Pour marcher constamment de succès en succès, pour
conquérir un vaste et puissant Empire, pour changer ou modifier
sans secousses la religion de tout un peuple, il faut qu’un ch e f,
-politique habile et guerrier audacieux, inàpire à son armée, à toute
sa nation, une sorte d’enthousiasme; il faut que leur confiance en
lui soit aveugle, leur amour excessif, leur dé voûment sans bornes ;
il faut qu’aucun sacrifice ne-leur coûte. Nadir était parvenu à ce
haut’degré dë force et de puissance, et s’y était maintenu jusqu’à
son expédition de l’Inde, parce que jusqu’alors le soldat avait compté
sur la justice, l’attachement et la bienfaisance de son chef ; parce
que jusqu’alors la nation étonnée avait cru voir en lui un être surnaturel.
Mais après cette expédition, une conduite tout-à-fait opposée à
celle qu’il avait tenue, une sévérité dans la discipline, portée jusqu’à
l’excès ; un arbitraire révoltant dans les punitions infligées,
une cruauté inouie envers ses ennemis, un orgueil insupportable,
une avarice sordide, une prédilection déplacée pour les uns, une
injustice humiliante pour les autres, lui avaient aliéné l’esprit de
l ’armée et de toute la nation. Depuis long-tems on ne-voyait plus
en lui le vainqueur des A fghans, le libérateur de la Perse, le guerrier
infatigable, le compagnon d’armes de tous les soldats ; ce n’était
plus l’homme q u i, par ses exploits, avait étonné lès puissances voisines,
èt avait inspiré à toute la nation une sorte d’idolatrie; ce
n’était plus ce général qui , partageant tous les dangers avec tous
les soldats , leur abandonnait, après la victoire, tout le butin ; ce
n’était plus, en un m o t, ce mortel doué de toutes les vertus, qui
méritait de s’asseoir sur le trône qu’il avait conquis, qu’il avait
•affermi , qu’il avait su faire aimer au dedans et respecter au
dehors.
Privé du prestige qui l ’avait entouré et qui l’avait si bien servi
dans
dans les premières années de sa v ie , il ne fut plus qu’un homme
ordinaire : ses armées, mécontentes de lu i , n’eurent plus que la
force de celles qui obéissent sans empressement et qui se battent
sans efforts; aussi Cet homme, dont le nom seul en imposait auparavant,
trouVa-t-il partout de la résistance lorsqu’il voulut de
nouveau se mesurer avec les Turcs. L ’armée qui marchait sur Van
ne put obtenir des succès ; Celle qui s’était présentée à BaSsora ne
put prendre la ville; celle qui avait investi Bagdad n’osa rien entreprendre
: elle vint se.réunir en grande partie à celle deNadir'pour
attaquer Môssul; mais les habitans soutinrent le siège pendant plus
d’un mois sans se rendre. $
Le 19 octobre 1743, Nadir leva le siège et vint avec ses troupes
aux environs de Bagdad, par la route de Kerkouk. Lorsqu’il eut
atteint Kara-T épé, il prit les de vans et se rendit à Iman-Ah, où se
trouveren t réunis par son ordre des docteurs ou molias deBalkhe,
de Bolsfiara, de Kandahar et de toutes les parties de la Perse; il
y fit aussi appeler ceux de la ville et de toute la contrée.
Le but de cette réunion était de capter la confiance des Othor
mans en ramenant les Persans à leur croyance , en faisant déclarer
par ces docteurs, dans un écrit authentique, signé de chacun d’eux
et déposé dans le trésor de la mosquée d’Iman-Ali, que; depuis
l’avenement de N adir au trône, tous ses sujets avaient solennellement
abjuré leurs hérésies et reconnu la légitime succession des
quatre premiers califes.; qu’il en avait donné connaissance à la
Porte; qu il lui avait proposé de reconnaître les Persans comme de
vrais croyans , et d’établir pour eux une cinquième secte orthodoxe
, qui serait celle de Diaffàr ; ce à quoi la Porte se serait
refusée. >
Tous les docteurs déclarèrent dans cet écrit que l’iman Djaffàr
était de la race du prophète, et reçu parmi les imans qui avaient
professé-la vraie foi; qu’en conséquence tout motif de haine et de
division entre les Persans et les Turcs devait cesser, et qu’ils devaient
tous se regarder comme Musulmans et comme lfôre.s. ’
Nadir fit-de riches présens à tous ces docteurs , et donna l’ordre
de couvrir à ses »frais , en plaques de cuivre doré , le toit de la
Tome-III. JJE