L e désordre de sa tête et la rage de son coeur le portèrent il faire
,deà listes oie proscription, et à couvrir de sang tout le sol de la
Perée:(j). L ’innocent comme le coupable, l’homme paisible comme
sédiÉieu* » le vertueux comme le scélérat, l ’homme obscur comme
celui qui était éleve en dignité, tous se virent exposés aux mêmes
-coups, tous eurent également à redouter que leur nom lût connu.
Les gouverneurs de provinces, les chefs des villes , les agens qu’il
envoyait exécuter ses ordres, n ’étaient sûrs de lui plaire, que dis-
je ? ne pouvaient espérer de conserver leur «tête qu’en devenant
feroces comme lu i, qu’en égorgeant sans pitié tous ceux qu’il vouait
à la mort, et en ajoutant même quelques victimes aux listes qu’ils
recévaient.
Cet ëxeciable ty ran , dans les dernières années de sa v ie , aurait
fait périr tous ses sujets, qu’il eût cherché encore des victimes.
Semblable au tigre, dont la férocité s’accroît à l ’aspect du sang qu’il
fa it Couler, plus Nadir en vôyait répandre, et plus il en paraissait
altéré ; plus il ordonnait de massacres, et plus il voulait se repaître
de 1 image de la inort. Depuis quelques années, dans toutes les villes
où il se montrait, il fkisait couper en grand nombre des têtes hu-
tnaines , et les faisait empiler sur les mosquées afin d’en former
d ’effrayantes pyramides (2).
Pour comble de maux, les collecteurs d’impôts, naturellement
durs et impitoyables, étaient devenus aussi cruels, aussi féroces,
aussi cupides que leur maître. Sous prétexte de prélever les taxes,
ils arrêtaient indifféremment les hommes dans les mes ou dans leurs
maisons, et les massacraient s’ils ne rachetaient promptement leur
vie aux dépens de ce qui leur restait} et si ces malheureux étaient
soupçonnés d’avoir enfbui leur or , il n’est pas de torture qu’on
n inventât et ne mit en nsage'pour le leur faire découvrir (3).
L épouvante, parmi toutes les classes de citoyens, s ’était accrue
au point qu’on n’osait plus se montrer en public, qu’on n ’osait plus
(*) Histoire de Nadir-Chah , 2e. partie, pag. 188.
(2) Idem , pag. 189.
(3) Idem, pag. 188.
se voir et se communiquer ses peines. L ’espionnage, ce terrible
fléau des sociétés, cette vermine infecte que la tyrannie produit,
que la bassesse fait pulluler, promenait son souffle impur dans
toutes les cités, se glissait, en rampant, dans toutes les maisons,
et répandait son venin corrosif dans tous les coeurs. Heureux celui
qui avait pu de bonne heure chercher un asyle sur la cime des
rochers, dans les lieux inaccessibles des montagnes ! qui avait pu
disputer à tems, aux onces, aux hyènes, aux chacals, une retraite
bien moins dangereuse que celle des villes !
T ant d’excès, tant de crimes, tant de maux, durent enfin soulever
à la fois la nation et l ’armée. Les chefs de celle-ci, réunis par
le même intérêt, résolurent d’assommer la bête féroce qu’on ne
pouvait plus enchaîner. Ils résolurent de-se défaire de leur r o i, et de
conférer la couronne à Ali son neveu, au préjudice de ses fils,
Ce qui les porta peut-être le plus à prendre ce pa r ti, c’estique
leur propre ¿vie était menacée, c’est qu’ils étaient persuadés que
Nadir méditait de faire égorger, par les Afghans et les Quzbeqs,
tous les Persans de son armée. Il voulait, dit-on, se défaire en un
moment de tous ceux de ses soldats qui ne suivaient pa s, dans tous,
les points, la religion des Othomans.
A li était alors dans le Sëgestan : il y avait été envoyé, avec Tali-
nms-Vékiii-Khan, afin de faire rentrer dans le devoir cette provincea
révoltée. »
Ali avait, depuis quelque tems , inspiré des craintes à Nadir ; sa
bravoure, sadonceujr, sa générosité;, avaient plu au soldat : il n'oie
fallait pas davantage po.ur que le tyran résolût de le faire périr.
Rappelé seul au camp impérial, A li différa de; s’y rendre, sous prétexte
que sa présence était encore nécessaire dans le Ségestan pour
ramener les habitons.à l ’obéissance qu’ils devaient à leur ro i, et
pour faine arrêter parmi eux les principaux coupables. Nadir ayant
insisté, et ayant même eu recours aux promesses et aux-ofîres le»
plus séduisantes pour attirer son neveu auprès de lui ^ celui-ci refusa
formellement d ’obéir, et arbora l’étendard de la révolte 3 -ce qui la
réconcilia sur-le-cliamp avec les ennemis qu’il était venu combattre.
Avant de punir ce nouveau rebelle , Nadir avait à faire rentrer