44o V O Y A G E E N P E R S E .
Elle partit enfin le 2 de ce mois, et vint camper dans l’enceinte
du faubourg, près la porte Scheik-Marouf : elle ne fut pas plus
lo in , afin de donner le tems aux paresseux de terminer leurs affaires
et de faire leurs adieux; elle y passa le 3 , et fit route le 4 au matin
par la Mésopotamie.
N q u s passâmes à côté de la mosquée d’Iman-Mônssa, située à
une lieue de Bagdad. Elle est fort belle , et l’une des plus vastes de
la contrée : on y remarque surtout deux dômes fort grands, recouverts
de plaques de cuivre bien doré ,' et un minaret fort élevé,
recouvert de briques vernissées, de diverses couleurs. Il y a deux
autres minarets qui ne paraissent pas de dehors.
Après trois heures et demie de marche, nous campâmes sur un
terrain incultè, couvert dè chardons, de graminées, de liciets et de
mimeuses.
' Le vent passa, ce jour-là, du nord-est au sud-ouest. La’ chaleur
fut très-forte et-l’air un peu embrumé, ainsi qu’il l’est toujours,
dans cette saison, avec les vents qui soufflent de la partie du sud.
Le thermomètre deRéaumur, qui n’était, les jours précédens, qu’à
'24 degrés, monta subitement à 3o.-
- Le 5 , nous marchâmes cinq heures dans la même direction que
la v e ille , c’est-à-dire , au nord-ouest. La matinée fut fraîche et
calme, mais vers neuf heures le vent souffla encore du sud-ouest.
Nous vîmes, en passant, des buttes de terre et des décombres qui
rions parurent être les restes d’une ville peu étendue : nous la jugeâmes
à dix Ou onze milles nord-ouest de Bagdad.
Nous ferons remarquer que notre route , évaluée au moins à
une lieue où aêoo toises par heure lorsque nous faisions partie
d’une caravane de chevaux, ne peut être évaluée tout au plus, de
Bagdad à AJep, qu’à deux milles par heure, tant le chameau marche
lentement en caravane.
' Le 6 , après deux heures de marche , nous quittâmes les terres
d’alluvion ; le terrain s’éleva tout à coup de quelques toises, et
nous présenta du sable et du cailloutage ; nous y prîmes beaucoup
de plantes ; un liseron épineux à petites fleurs blanches et à
feuilles velues,une pallasie différente de celle d’Egypte, et ce beau
buphtahne
buphtalme (i) que M. Ventenat a décrit et figuré dans l’ouvrage
que nous avons plusieurs fois cité.
Nous finies encore douze milles en nous dirigeant un peu plus à
l ’ouest, et nous vînmes camper prés d’ un puits dont l’eau était saumâtre
et désagréable à boire. Nous y restâmes huit jours, pour
attendre cinq ou six cents' chameaux' qui devaient venir nous
joindre.
1 Nous eûmes beaucoup à souffrir tout le tems .que nous fûmes
campés autour de ce puits. L ’eau nous purgea constamment et nous
affaiblit beaucoup ; elle-agit sur les Arabes avec presqu’autant de
force que sur nous. Le vent se soutint, jusqu’au 13 , au sud-oüest,
et la chaleur devint insupportable. Le thermomètre, sous la tente.,
monta, le 12 et le i 3 , jusqu’à 33 degrés, et s’y soutint une grande
partie delà journée. De petits criquets, que nous avions remarqués
¡en arr ivant, furent excessivement abondaijs ces joursrlà : la.terre
en était pour ainsi dire couverte ; ils venaient dans notre tente, sautaient
sur nous par milliers , nous mordaient quelquefois lorsque
nous voulions les écarter; et se précipitaient sur nos alimens ou
se noyaient dans nos boissons. Nous les regardâmes comme le produit
d’une nuée de ces insectes que nous avions vu passer à Bagdad
les premiers j ours d’a v r il, et dont la plupart étaient tombés sur la
ville ou s’étaient répandus sur les champs d’alentour. Nous en
avons dit un mot dans le chapitre XIV du tome IL
. Le soir ces petits criquets étaient remplacés par un autre insecte
non moins incommode et plus désagréable à voir ; il appartient au
genre que j’ai établi,dans Y Encyclopédie méthodique, sous le nom
de galéode. Les Arabes le regardent comme très-venimeux, et voulaient
d’abord nous empêcher d’y toucher. Lorsqu’ils nous virent
prendre des précautions pour n’en être pas mordus, iis se contentèrent
de nous faire une infinité de contes plus effrayans les uns que
les autres. Selon eux , l’endroit mordu s’enfle considérablement,
noircit bientôt, et est promptement suivi de la gangrène et de la
mort.
, : ■ — _ _ _ _ _ _ ----------^—
(i) Buphtalmiim floscülosùm. Description du jardin de Cels, pag. 25 , tab. 25.
Tome d ll. ' Kfck