ne souffrira pas que vous soyiez réduit en esclavage quand il saura
que vous n’êtes ni Russe ni Géorgien ; j’espère même qu’il vous
fera rendre vos effets, et qu’il vous donnera tous les moyens nécessaires
de retourner dans votre patrie. Effectivement, deux jours
après, Aroch fut présenté au r o i , qui le reçut avec bonté , lui dit
d’oublier tous les maux qu’il avait soufferts, et lui proposa de s’attacher
à sa personne en qualité de médecin : il ordonna en même
tems qu’il lui fût compté une somme proportionnée aux pertes qu’il
avait faites, et qu’on lui fournît régulièrement les mêmes rations
qu’aux ofliciers-généraux.
Aroch se trouva, comme par enchantement, comblé dé toutes
les faveurs de la fortune tant qu’il fût auprès du roi ; mais Méhémet
n’eut pas plutôt quitté son armée, que les ordres donnés
en faveur du médecin hongrois ne furent plus exécutés.-Peu à peu
il ne reçut ni vivres ni traitement : son bienfaiteur même l’abandonna,
et il se vit sans appui, sans crédit, sans fortune, seul et
étranger, obligé de lutter contre les intrigues, les calomnies et
toutes les trames que purent ourdir contre lui les médecins du
pays. ¡ê
Le roi étant rentré à Téhéran, Aroch s’empressa de se rendre
auprès de lui. Méhémet écouta ses plaintes, et donna aussitôt des
ordres pour qu’on fournît à son médecin le traitement qu’il lui avait
accordé : celui-ci recouvra pour quelques instans les mêmes faveurs
dont il avait joui; mais dès que le roi fut parti pour le Khorassan,
Aroch se trouva privé de tout comme la première fois. Il exerce
la médecine à Téhéran ; il voit beaucoup de malades, et cependant,
à en juger par l’état de dénûment où il se trouve, les profits
qu’il y fa it, doivent être bien modiques ; il se plaint beaucoup du
gouverneur et de quelques grands de la cour. Il paraît qu’il estime
fort peu la nation persane, et qu’il est très-empressé de retourner
en Europe. Pour cela, il lui faut une permission expresse du roi.
En attendant qu’il l ’obtienne, il ne peut sortir de la ville sans avoir
avec lui deux personnes qui en répondent sur leur tête.
Dès , que nous eûmes raconté au médecin hongrois ce qui s’était
passé entre nous et le juge : «V o s quinze piastres sont perdues,
33 nous dit-il et elles sont la cause peut-être du malheur qui lui
33 vient d’arriver. » Nous priâmes le médecin de s’expliquer : il
nous apprit alors que le juge venait d’être condamné à recevoir
cinquante coups de bâton sous la plante des pieds, et à rester en
prison jusqu’à l’arrivée du ro i, pour avoir, la veille, introduit de
force dans sa maison une jeune fille , qui en avait porté plainte
au gouverneur.
Nous fûmes bien fâchés de la malheureuse aventure du ju g e ,
qu’on regardait avec raison comme plus imprudent que coupable;
car on convenait assez généralement que la jeune fille n’avait porté
plainte que parce qu’elle avait été reconnue , en entrant chez le
ju g e , par une voisine, qui en avait sur-le-champ informé les
parens.
Dans cet état de choses, ne voulant plus nous adresser au gouverneur
pour avoir une maison, et ne pouvant espérer d ’en obtenir
une sans son consentement, nous résolûmes de sortir de la v ille ,
et d’aller nous établir dans quelque village au pied du mont Albours,
afin d’y jouir sans contrainte de tous les agrémens de la campagne,
y respirer un air plus frais, plus salubre qu’à la v ille , et nous
trouver plus à portée de nous livrer à 'i’étude et aux recherches
des productions de la nature.
Ce qui nous portait aussi à nous loger hors de la v ille , c ’est que
Téhéran renfermait des ôtages de toutes les grandes villes de l ’Empire,
que le roi y avait fait venir pour sa sûreté. On y voyait aussi
les chefs des tribus qui lui avaient paru suspectes ; de sorte qu’on
entrait à Téhéran comme on voulait, mais ou n’en sortait pas dé
même : il fallait pour cela une permission signée de la main du gouverneur.
C est ce que nous avions appris quelques jours après notre arrivée;
car m étant présenté un matin à une porte avec mon drogman, dans
1 intention d aller me promener, cinq ou six gardes vinrent à moi
pour m empecher de passer outre; Ignorant les ordres du gouverneur
, et ne comprenant pas ce qu on me disait, je crus que ces
gardes me demandaient’simplement une étrenne : je les renvoyai
donc au drogman, et je sortis. M. Caraman eut bien de la peine i