elle était en état de résister long-tems, et l’on s’attendait bien que
Méhémet ne se rendrait pas à moins qu’il ne fût réduit aux dernières
extrémités.
' C ’en était fait cependant de cet ambitieux si Scheik-Veis n’eût
mécontenté mal-à-propos son armée, et ne l’eût portée à la révolte
en la faisant manquer des objets les plus nécëssaires : il tenait Bostan
étroitement bloquée; il était campé depuis deux mois autour de
cette ville. Les pluies d’automne avaient fait murmurer les troupes
qui étaient trop légèrement vêtues, et qui avaient des tentes si
usées, que l’eau passait à travers. Le froid qui survint après les
pluies, et auquel il leur était bien plus difficile de résister, leur fit
prendre la résolution de quitter leurs drapeaux , et même de tuer
leur général et de s’emparer de la caisse militaire.
■ Il faut observer que presque toutes les troupes de Scheik-Veis
étaient des L ors, des Bakhtiaris et autres Curdes du Loristan, de
Péria et des environs de Néhavend et de Kermanchah. Ils avaient
pour la plupart laissé en otage leurs femmes et leurs enfans à Ispahan
; mais ils comptaient les reprendre avant de gagner leurs mon7
tagnes ;. ce qui leur était facile en l ’absence d’Ali-Murad.
Scheik-Veis n’eut rien de mieux à faire pour éviter d’être tué,
que de se sauver à Téhéran avec sa garde et trois ou.quatre mille
hommes du Farsistan, qui n’avaient pris aucune part à ce complot.
Ali-Murad fut vivement affecté de cette désertion : il perdait .en
un moment le fruit de quatre ou cinq années de travaux et de combats
; il voyait la guerre se prolonger, toutes ses ressources s’épuiser,
et les maux de sa patrie s’aggraver de plus en plus. Cependant
il ne perdit pas courage ; il fit passer sur-le-champ dans le Mazan-,
deran Moustapha-Kouli-Khan et Morteza-Kouli-Khan, frères de
Méhémet, avec douze mille hommes ; il y joignit un corps de quatre
mille Géorgiens qu’il avait à sa solde, et dont il connaissait la bravoure
, la fidélité et le dévoûment; il laissa à Téhéran Scheik-Veis
avec quatre mille hommes seulement, et avec le reste de son armée
il marcha vers Ispahan afin d’atteindre les révoltés, Son intention
étant de les détruire s’il ne parvenait à\les faire rentrer dans le
devoir.
Cette
Cette marche fut pénible : l ’armée éprouva un froid très-rigoureux,;
les chemins étaient couverts de neige ; il en tombait de tems
en tems, Ali-Murad y faible et maladif, fut attaqué d’une fluxion
de poitrine, à laquelle il succomba, le 11 de février 1785, au village
d’Aga-Kamal, situé à trois petites journées d’Ispahan. Myrza-
Rebbi, son premier ministre, avait fait d’inutiles efforts pour l ’engager
à se reposer à Cachan, et attendre que sa santé fût rétablie»
Ali-Murad avait trop à coeur de punir la désertion de l ’armée de
son fils, et de prévenir les désordres qu’elle allait occasioner à
Ispahan pour s’arrêter à Cachan ; il s’était contenté de prendre une
litière et de ralentir sa marche.
Myrza-Rebbi crut ne devoir pas divulguer , cette mort qu’il ne
se fût concerté avec le gouverneur d’Ispahan et les autres seigneurs
de la ville ; il voulait les engager à porter au trône, d’un commun
accord, le fils aîné ou le frère d’Ali-Murad, et à prévenir par-là
les troubles que cette mort inattendue ne pouvait manquer d’oc-
çasioner.
Les projets du ministre ne réussirent point : le gouverneur, nommé
Bagher, homme vain, présomptueux, irréfléchi, ne fut pas plutôt
instruit de ce qui venait de se passer, qu’il eut l ’ambition de succéder
à Ali-Murad. Bagher était très-riche et avait en main les
joyaux de la couronne. La place qu’il occupait, le rendait maître
de toutes les forces de la capitale : il comptait sur un parti nombreux
que son crédit devait lui procurer ; il espérait prendre à sa
solde l’armée ro y a le , et celle qui avait abandonné les drapeaux de
Scheik-Veis.
r L ’arrivée subite à Ispahan de Djaffar-Khan rompit les mesures
de Bagher. Djaffar avait quitté son gouvernement, et avait marché
vers la capitale, à la tête des troupes qu’il avait pu se procurer,
sans qu’on ait su s’il venait au secours de son frère, ou s’il méditait
de lui enlever la couronne.
I II y avait alors à Ispahan plus de cinquante mille hommes de
troupes, tant de l ’armée d’Ali-Murad, que de celle de Scheik-Veis,
¿qui ne recevaient plus de p a y e , qui n’obéissaient plus à aucun
phef, et qui se liyraient à tous les excès , à tous les crimes que
Tome II I. A a a