Bouyouk-HisSar,. ou le grand château, se trouve à un quart de
lieue du chemin, à droite ; ii est situé sur un sol un peu élevé.
Nous apprîmes, dans le caravanserai où nous logeâmes, que le
vieillard qu on avait emporte évanoui dans le hateau, était revenu
à la vie. En arrivant à Guébezéh, il avait fait transporter le cadavre
de son fils chez le cadi, et s’y était rendu lui-même avec la plupart
des voyageurs, pour demander justice. Le cadi avait répondu que
cette affaire ne le regardait pas , qu’il fallait s’adresser au capitan-
pacha, qui seul avait le droit de juger les marins qu’il employait.
Le 18 , nous partîmes a la pointe du jour. Tout le terrain que
nous parcourûmes, est inégal , peu élevé au dessus du niveau de
la mer. La terre y est bonne et assez bien cultivée : nous y vîmes
beaucoup d arbres fruitiers , et quelques vignes plantées comme
celles de Provence.
Après trois heures de marche, nous passâmes près d’un petit
village nommé T ou sta , situe au bord de la mer. La côte est très-
sinueuse du cap Pliilocrmi à Scutari. Nous dépassâmes bientôt les
trois îlots que M. de Choiseul a désignés sous le nom de N issa ,
sur sa carte des environs de Constantinople. Nous vîmes la pres-
qu île /Irritas , que nous prîmes d’abord pour plusieurs îles : il y
avait quelques navires à l’ancre dans le port naturel qu’elle forme
à sa partie méridionale. Nous traversâmes un village grec, nommé
P a n d ik i } e t nous allâmes nous reposer un peu plus loin-, dans un
autre peuple dé Grecs et de Turcs, nommé K a rta l. Ils sont tous les
deux sur le bord de la mer, dans une anse assez profonde et assez
sûre.
A quelque distance de K a r ta l, le terrain change de nature : il
est calcaire depuis le golfe de Nicomédie jusqu’au-delà de Kartal 5
il devient schisteux et quartzeux de là au Bosphore.
Nous nous éloignâmes un peu de la mer, sans la perdre de vue :
elle «tait couverte de navires qui se dirigeaient dans tous les sens*
Le plus grand nombre prenait la route de Constantinople : quelques
uns paraissaient aller dans le golfe de Nicomédie , ou dans
celui de Mundania ; les plus gros faisaient route pour l’Hellespont.
Le tems était fort beau, et lèvent soufflait légèrement de l’ouest.
Les îles des Princes s’offrirent long-tems à nos regards. Elles semblaient
d’abord n’en former qu’unè; mais à mesure que nous avancions
, elles se détachaient successivement : nous appercevions à
droite quelques collines ; nous avions devant nous celle de Bour-
gourlou, vers laquelle nous paraissions nous diriger : bientôt nous
la laissâmes à droite ; nous entrâmes dans cette superbe et antique
forêt de cyprès qui ombrage les tombeaux des Musulmans, et nous
arrivâmes à Scutari après neuf heures dé marché.
Des préposés à la douane que nous y trouvâmes, nous permirent
de traverser sur-le-champ, avec l’un d’eu x , le Bosphore, et de
nous rendre à la douane de Constantinople, où nos effets devaient
être visités comme venant du côté de l’Asie. Nous y éprouvâmes
d’abord quelques difficultés, peut-être à cause de l’habit arabe que
nous portions; mais à la présentation de notre firman, et à l ’offre
que nous fîmes d’une pièce de cent paras , on nous exempta d’une
visite que les Européens redoutent toujours à cause de la peste.
Nous pûmes , par ce moyen, nous rendre avant la nuit à Galata »
et y débarquer nos effets.