empêcher qu’on ne courût après moi pour m’obliger à rentrer ; il
eut bien de la peine à faire entendre que les ordrès qu’on avait
donnés ne pouvaient regarder des Européens envoyés par leur gouvernement
auprès des ministres de Méhémet. Les gardes s’obstinaient
toujours à courir après moi. Enfin, combattus par la Crainte
d’être punis s’ils manquaient aux égards qui nous étaient dus, et
par celle d’être coupables de désobéissance s’ils nous laissaient sortir
, ils prirent le parti de me suivre et de ne pas me perdre de vue
que je ne fusse rentré. Eh effe t, j’étais déjà à cent pas de la ville
lorsque je vis venir le drogman avec deux gardes; ils causaient
ensemble un peu vivement. Toujours persuadé qu’on voulait exiger
de moi une étrenne, ainsi que cela se pratique à l’égard dés Chrétiens
dans toutes lès villes turques et persanes où il y a des gardes
aux portes, je dis au drogman : Donnez quelques pouls (1) à ces
gens-là, et qu’ils nous laissent tranquilles. M. Caraman ne répondit
pas', et continua à causer. Je ne fis plus attention à eux. Je m’amusai
pendant plus d’une heure à ramasser des plantes,' à prendre quelques
insectes , et à considérer la redoute qui se trouvait à trois
cents pas de la porte. Je repris ensuite le chemin de la ville, les
gardes se tenant toujours à quelques pas de moi.
Nous ne voulûmes pas aller à la campagne sans avoir des nouvelles
de Casbin ; nous expédiâmes donc un exprès changé de
remettre au négociant dont M. Rousseau nous avait donné l’adressé,
une lettre par laquelle nous le priions de nous informer s’il avait
reçu quelque paquet pour nous : l’exprès revint lè septième jour.
Le négociant nous marquait par sa réponse, qu’il n’avait rien'reçu,
qu’il n’avait eu aucune nouvelle de M. Rousseau; mais il nous assurait
que, dès qu’il lui parviendrait quelque chose à notre adresse,
il nous, l’enverrait sur-le-champ.
f On compte de Téhéran à Casbin environ vingt lieues qu’on fait
ordinairement en trois jours. Le chemin est assez beau, et les communications
entre ces deux villes sont très-fréquentes depuis que le
h ) Monnaie de : cuivre Fort épaisse , (}ui vaut un peu plus de cinq centimes.
roi a établi sa résidence dans la première, et qu’elle est devenue
le centre des affaires ; mais l’autre étant plus peuplée et plus riche,
le commerce y est plus actif. Casbin sert d’entrepôt aux soies du
Guilan et du Chyrvan, destinées pour l ’intérieur de la Perse, pour
Bagdad et même pour Surate. Û’ëst là aussi qu’on transporte une
partie du riz du Guilan et duMazandéran : on y fabrique des étoffes
de soie, quelques toiles de coton et beaucoup de tapis. Cette ville
n’est plus cependant aussi florissante qu’elle l’était sous le règne
des Sophis. Sa population, qu’on évaluait alors à plus de cent milh»
habitans ,' est réduite aujourd’hui à vingt ou vingt-cinq mille. Ses
édifices ne sont pas non plus aussi somptueux : le palais du roi
tombe en ruine, et les maisons des habitans sont basses et mal
bâties.
Casbin est situé au 36e. degré 15 minutes de latitude, et au 47ei
degré 17 minutes de longitude, suivant les observations de M. Beau-
champ .
Téhéran se trouve dans une belle plaine, presque toute arrosée s
elle est à trois lieues Sud de cette double et triple chaîne de montagnes
à neige' qui coupe à angle droit le mont Elvind, au nord de
Casbin, ¡Court du couchant au levant en s’inclinant un peu au sud,
et sépare le Mâzandèràn de l ’Irak-Adjem. Cette montagne, que
quelques voyageurs désignent sous le nom d Elvitid, se nomme par
les habitans, Albours ou le N ez. Le pic de Demavend, qui se trouve
à huit ou dix lieues à l’orient de Téhéran, s’élève considérablement
au. dessus de ces montagnes’: il est en tout terris couvert de neige ;
et il jette quelquefois beaucoup de finnée : les fables du pays portent
que l’ame d’un de leurs mauvais rois y est tourmentée. Il est
vraisemblable que c’est le cratère d’un volcan qui n’est pas encore
éteint. Gn laisse ce pic à gauche lorsqu’on va cj.e Téhéran à Fi-
ruscuh.
Pietro délia V a lle , qui passa à Téhéran en 1618, dit que cette
ville était spacieuse, mais peu peuplée et en grande partie occupée
par des jardins plantés d’une infinité d’arbres fruitiers- Presque
toutes les rues avaient des ruisseaux et étaient ombragées par de
très-grands planes ou platanes ; ce qui porta ce voyageur à appeler
Tome II I. G