il ne peut soupçonner de mauvaises intentions à celui qui prend
le masque de la vertu.
Djaffar-Kouli, militaire généreux et sensible, ne vit dans Méhémet
qu’un frère qui voulait réparer ses torts, un ami tendre et
sincère que le devoir, autant que le coeur, devait lui attacher : il le
suivit donc sans méfiance , et même avec plaisir ; il lui en avait
trop coûté de retirer son amitié et son estime à un frère, pour qu’il
n’éprouvât pas de la satisfaction à les lui rendre.
Arrivés à Téhéran, il fut d’abord traité avec tous les honneurs
qu’il était én droit d’attendre, et avec toutes les apparences d’ùne
réconciliation complète ; mais quelques j ours après, dans le moment
où , appelé dans le cabinet de Méhémet, il prenait congé de lui
pour se rendre à son poste , et où il lui jurait fidélité et dévoûment,
il fut assailli par deux hommes armés, et massacré sous ses yeux
d’une manière aussi atroce que perfide.
j Lutf-Ali, pendant ce tems , ne s’était pas borné à réformer des
abus, à faire de bonnes lois dans les provinces méridionales : il avait
songé à se rendre maître de celles du nord ; il avait appelé les Bakh-
ffaris qui avaient si généreusement pris les armes pour lui lorsque
Mébémet assiégeait Chiras ; il avait fait venir quelques Arabes de
la côte, et avait réuni tous les guerriers de la ville' et des provinces ;
il s’était procuré, par ce moyen, plus de cinquante mille hommes
bien armés, bien équipés. Jamais il n’avait eu à ses ordres une
armée aussi formidable, aussi bien pourvue de vivres et de munir
tions de guerre de toute espèce; jamais il n’avait cru appercevoir
pluX de bonne volonté dans ses troupes; jamais il n’avait plus
compté sur des succès. Son but était d’enlever Ispahan, de se porter
de là en toute diligence à Téhéran, et de ne cesser de poursuivre
son ennemi, qu’il ne i’eût détruit ; ce qui ne pouvait manquer
d’avoir lieu , car Méhémet, aussi avare que c ru e l, aussi haineux
que fourbe, était justement en horreur dans tout l’Irak. Leshabi-
tans d’Ispahan, honteux d’être gouvernés par cet eunuque, attendaient
avec impatience L u tf-A li, dont les qualités, aussi solides
que brillantes, étaient bien faites pour capter les suffrages des gens
de bien , ainsi que ceux de la multitude.
Avant de se mettre en campagne , Lutf-Ali avait nommé gouverneur
de Chiras et de tout le Farsistan, Hadgi-Ibrahiin son beau-
père; il avait eü l’attention dè placer à la tête des diverses administrations
ceux de ses parens qu’il laissait dans la ville, où des
personnes dont il connaissait la fidélité, et il avait pris avec lui les
frères de Hadgi-Ibrahim, afin de lui servir en quelque sorte d’otages.
Ces précautions avaient dû lui paraître nécessaires, comme
elles l’étaient en effet, ainsi qu’on le verra bientôt.
Lorsqu’un trône, tel que celui de la Perse, est devenu la proie du
plus hardi ; lorsque des siècles n’en ont pas sanctionné la possession
, tout ambitieux croit pouvoir y prétendre. Hadgi-Ibrahim
l ’était plus q u e ‘tout autre. Né à Chiras, il était riche, et jouissait
d’une très-grande considération : il avait un grand nombre de parens
riches comme lui ; il avait des amis et des créatures ; il se vo ya it,
en l’absence du maître, investi de tout le pouvoir; une partie de
la ville lui était par conséquent dévouée, et l’autre était à ses
ordres. Hadgi-Ibrahim avait beaucoup d’esprit, beaucoup de facilité
dans le tra v a il, des connaissances administratives très-étendues ;
mais, plus politique que guerrier, plus versé dans les affaires qu’habile
à manier l ’épée, pins rusé <jùe raillant, plus homme de cour
qu’honnête homme, il se flatta que si Lutf-Ali était tu é , il écarterait
facilement du trône ceux qui pourraient y avoir des prétentions
, et qu’il garderait pour lui le pouvoir qui venait de lui être
confié. .
Conformément à ces idées, il fit promettre à ses frères d’assassiner
Lutf-Ali dans le même tems qu’il ferait main-basse à Chiras
sur les amis et les parens de ce jeune prince.
Lorsqu’on së trouva précisément au milieu de la route d’Ispahan ,
en avril 1791, les frères d’Ibrahim, qui jouissaient d’un grand crédit
dans l’armée, et d’une grande faveur auprès du chef ; eux qui se
trouvaient à la tête d’un corps nombreux tout formé de gens de
leur tribu, trouvèrent facilement le moyen de s’approcher de Lutf-
A l i , et de l’assaillir tout à coup au moment qu’il ne. s’y attendait
pas. Le premier coup qu’on lui porta seitrouva heureusement paré ;
il lui fut aisé alors de se dégager, et de mettre en fuite, avec sa