Nadir arriva à Kandahar le 18 àvril 1740, et à Hérat le 19 mai
suivant. Le prince Riza joignit son père à Kéra-Tépé-Badghis, situé
à quelques lieues nord d’Hérat. Les deux armées réunies marchèrent
vers Balkhe. Onze cents barques avaient été construites sur le
Djihoun (1 Oxus des Anciens) pour le transport des provisions et
de 1 artillerie. On descendit le fleuve jusqu’à Tehardgiou, et on se
rendit de là à Bokhara. Le roi, nomméAboul-Feiz, descendant de
Genghiz-Khan, se soumit, fit des présens et conserva ses États en
cédant à la Perse tous les pays situés au sud ou à la rive gauche
du fleuve, et en donnant une de ses filles emmariage à Ali-Kouli-
&han , neveu de Nadir.
Tou? les autres gouverneurs on princes de ces contrées se soumirent,
et en furent quittes pour des présens. Nadir fit passer dans
Son armée vingt mille Turcomans et Ouzbeqs de Bokhara , de Sa-
markande et des autres provinces du Touran.
L armée quitta les environs de Bokhara le 8 septembre de la
même année, et s avança vers le Kharesme. Les Turcomans et les
Ouzbeqs de cette province se présentèrent au combat avec beaucoup
de courage ; mais ils furent battus plusieurs fois et obligés
de se soumettre. Nadir fit mourir Ilbarz leur chef, et incorpora
dans son armée quelques milliers de Kharesmiens.
Pendant que ce conquérant subjuguait ou dévastait toutes les
provinces qui se trouvent à l’orient de la Caspienne, les Lezguis,
à l’occident de cette mer, continuaient d’être en révolte; les Afghans
des provinces cédées à la Perse par le Grand-Mogol refusaient
de se soumettre ; les Arabes, voisins -du golfe Persique, faisaient
des incursions sur les côtes ; ils avaient chassé l’Lnan de
Mascate que Nadir protégeait, et la Perse, tourmentée par ses
gouverneurs et ruinée par les demandes réitérées d’argent, d’hommes,
de chevaux, d’armes et de vêtemens, se dépeuplait d’une
manière effrayante. ÎLe mécontentement de toutes les classes de
citoyens se manifestait partout sans ménagement.On blâmait l’expédition
de 1 Inde , qui avait fkit périr beaucoup de monde, et qui
n avait servi qu à remplir les coffres du roi sans aucun avantage
pour la nation ; on était révolté de l’excessive rigueur qu’on mettait
à la levée des soldats 5 on était surtout indigné que le r o i , qui, par
un édit publié dans toute la Perse avec la plus grande solennité,
avait exempté la nation de tout impôt pendant trois ans, manquât
non-seulement à sa promesse, mais qu’il exigeât, sous peine de
m o r t, les impôts arriérés. On savait pourtant que les richesses
immenses eidevées aux Indiens étaient plus que suffisantes pour
faire face à toutes les dépenses pendant trois ans.
Ce qui augmentait encore le mécontentement du peuple, c’était
l ’obstination que le roi mettait à ce qu’on ne suivît pas d’autre
religion dans toute la Perse, que celle des Othomaus.
Les interprètes,de la religion, à qui Nadir avait enlevé une partie
de leurs revenus, et qui d’ailleurs avaient à venger la mort injuste
de leur chef, profitaient adroitement, de la mauvaise disposition
des esprits à son égard, pour le rendre encore plus odieux. Tantôt
ils l’accusaient d’être un innovateur, un ennemi de Dieu, de Mahomet
et d’A li ; tantôt ils rappelaient l’attentat commis en la personne
sacrée du chef de la religion ; ils le présentaient comme un
ambitieux qui sacrifiait la nation entière à son armée, comme un
usurpateur qui s’était élevé au trône par des perfidies, qui s’y soutenait
par des crimes, et qui cherchait à étendre ses États par le
plus grand des sacrilèges.
« Que fait-il de toutes ses richesses, disaient-ils ? que fait-il de tout
55 l’or qu’il a enlevé aux Indiens ? En voyez-vous circuler quelque
» parcelle ? L ’emploie-t-il à solder ses troupes, à payer ses agens?
» Non : cet o r , ces pierreries, il les a enfouis au nord du Khoras-
» san ; il n’y touchera point tant que vous pourrez lui en fournir,
» tant qu’il en existera encore parmi vous.
» Que de malheurs ! que de calamités n’a-t-il pas accumulés sur
n nos têtes et sur celles de nos enfans ! Déjà nos villes détruites,
» nos champs abandonnés, ne feront bientôt plus de la Perse qu’un
» affreux désert : voilà le sort qu’a fait subir à notre patrie cet
:» homme féroce pour qui rien n’est sacré.
» Encore s’il pouvait se présenter un généreux libérateur qui
» mît un terme à tant de maux, nous aurions l’espérance de voir
» renaître les beaux jours qui rendirent autrefois ces contrée? si
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