C H A P I T R E XXI Y.
D épa r t de Latakie pour L amaca. Commerce et population
de Chypre. Route p a r Nicosie, Cèrino , Celin-
dro, Car aman, Koniéh et Akshéer. Arrivée à Cara-
Hissar.
L e navire vénitien qni se trouvait à Latakie, devait mettre à,la
voile dans une quinzaine de jou r s, et se rendre à Constantinople
avec un chargement de tabac. Nous fûmes quelque tems sur le point
de nous y embarquer, mais le vice-consul et son chancelier nous
en dissuadèrent, sur la nouvelle qu’ils avaient eue très-récemment
qu’un corsaire algérien avait enlevé, aux environs de Castel-Rosso,
un navire de cette nation, et l’avait conduit à Rhodes.
Quoique cette nouvelle ne nous parût pas très-certaine , nous
laissâmes partir le Vénitien, et nous nous embarquâmes le 4 de septembre
, à la pointe du jo u r , pour Chypre, sur un petit navire
ragusais , qui devait toucher à la rade de Larnaca, et se rendre de
là à Alexandrie : il avait quelques boeufs et quelques balles de tabac
destinés pour cette dernière ville, et quelques passagers grecs qui
retournaient en Chypre leur patrie.
Un pétit vent de terre nous mit, dans deux ou trois hetires, à
deux lieues du port ; il cessa de souffler lorsque le soleil se lut un
peu élevé, et vers les neuf heures il passa peu à peu au sud-ouést,
ainsi qu’il arrive tous les jours, dans cette saison , sur cette partie
de la côte. On pinça le vent autant que l ’on put, sans faire pour
cela bonne route. La nuit nous restâmes en calme, et le 5 , lorsqu’il
fit jo u r , nous reconnûmes, à huit ou neuf lieues est-nord-
e s t, le cap Kansir, qui est à quatorze lieues nord-nord-ouest de
Latakie : nous étions alors en face du golfe de Séleucie, dans lequel
i’Oronte vient se jeter.
Le veht souffla toute la journée du sud-ouest, et nous porta
vers la Caramanie : nous ne la découvrîmes pourtant que le 7 au
soir. Nous continuâmes de nous diriger vers elle le 8 , ayant toujours
du calme la nuit, et lé même vent de sud-ouest durant le
jour.
Le 8, à deux ou trois heures de nuit, le vent ayant passé au
nord, et s’y étant soutenu jusqu’au matin, nous nous trouvâmes,
à la pointe du jou r, à trois lieues nord-est du promontoire D ina-
return ou cap Saint-André , près duquel sont trois ou quatre îlots
nus, bas, cariés tout autour par les eaux de la mer, et qui portèrent
autrefois le nom de C lides ou C leides insulae. Dès que nous
l ’eûmes doublé, le capitaine fit jeter l’ancre; ce qui nous surprit,
attendu que le vent était encore favorable quoiqu’il eût déjà faib
li; mais nous reconnûmes bientôt que le capitaine ne s’était décidé
à mouiller que parce qu’il avait jugé que noiîs aurions encore
ce jour-là le vent de sud-ouest ; il avait voulu attendre, pour faire
route, que celui de terre vînt le remplacer.
La côte, aux environs du cap, est basse et d’un difficile abord,
à cause des rochers cariés dont elle est hérissée. Nous nous fîmes
pourtant mettre à terre afin d’observer l ’intérieur, et y ramasser
quelques plantes. Nous y vîmes des lentisquès et des caroubiers
rabougris, parmi lesquels se trouvaient des myrtes, des paliures,
des sariètes, des cistes, des chardons et autres plantes peu importantes.
-Le pays abonde en gibier : nous n’avions pas de chiens, et pourtant
nous fîmes lever plusieurs lièvres et plusieurs compagnies de
perdrix à bec et à pieds rouges : nous n’y vîmes pas le franeoün,
quoiqu’il soit assez multiplié dans quelques quartiers de l ’île.
A demi-lieue du cap , il y a une chapelle et deux ou trois familles
grecques qui cultivent quelques arpens de terre : elles y
recueillent du froment, du coton, du sésame, du maïs, du doura
et quelques plantes potagères ; elles y ont aussi quelques ruches.
A deux heures de n u it, le vent de terre nous permit de mettre
à la v o ile , et de faire bonne route en suivant la côte. Dans la
matinée du 10, nous vîmes de loin Famagouste, ville fortifiée parles
Vénitiens, et qu’ils défendirent pendant plus d’un an contre des
O o o a